Opéra de Toulon : les musiciens ont le blues
Nous sommes accoutumés à percevoir l’activité artistique dans le miroir déformant du singulier, du génie et de l’exceptMusique – Grève Opéra de Toulonionnalité, de réduire l’orchestre à son chef, l’opéra à ses divas. Pourtant, dans l’obscurité des coulisses, là-haut dans les cintres ou bien dans la fosse des musiciens s’activent des hommes et des femmes exerçant une théorie de métiers tous essentiels à la réalisation du spectacle. Afin de maîtriser une gestion artistique, technique et financière considérable, les théâtres lyriques sont des institutions administrées (voir ci-contre) et hiérarchisées qui n’échappent pas aux problématiques du monde du travail, à ses conflits d’intérêts, ses restrictions, ses inégalités, ses exaspérations. Si les intermittents du théâtre montent régulièrement sur la scène pour afficher leurs doléances, dans l’environnement plus feutré de l’opéra, il est rare que les musiciens donnent de la voix. Quand ils le font, c’est en général que le passif est lourd.
Le 5 avril, à l’unanimité, les instrumentistes de l’orchestre et la plupart des choristes de l’Opéra de Toulon ont décidé la grève de la générale de L’Enlèvement au Sérail. Puis les 7, 9 et 11 avril, ils étaient sur les escaliers du parvis, avant les représentations, pour distribuer des tracts et informer le public de leurs revendications. Jointe au téléphone, la représentante CFDT nous explique le contentieux : des restrictions budgétaires dans tous les domaines, des bases salariales en dessous des conventions collectives, des négociations salariales au point mort, une direction qui fait la sourde oreille et, goutte d’eau faisant déborder le vase, des augmentations très avantageuses de certains « hauts salaires » (sans autres précisions qualitatives ou quantitatives).
Malgré notre invitation, la direction n’a pas souhaité communiquer avec nous à ce sujet. Pourtant, à l’heure où nous mettons sous presse, le ton est monté, un préavis de grève vient d’être déposé pour la première représentation de Roméo et Juliette le 4 juin. S’il venait à prendre effet, la déflagration retentirait bien au-delà des frontières du Var et ternirait l’image de la maison. Souhaitons que le bras de fer cesse et qu’un geste d’ouverture puisse amorcer le dialogue avant cette échéance. À moins d’un coup de théâtre, les perspectives d’une solution négociée à court terme restent donc assez minces d’après l’intersyndicale (CFDT, CGT, FO) ; on s’acheminerait alors vers des procédures de droit du travail, entrecoupées d’actions de sensibilisation auprès du public. Bref, le malaise ne semble pas près de disparaître. Pendant combien de temps encore ces dissonances n’altéreront pas la qualité artistique à laquelle cette ancienne maison d’opéra, qui a fêté ses 150 ans en 2012, nous avait habitués ?
Roland Yvanez
Formes juridiques de l’opéra de Toulon
L’Opéra de Toulon TPM (Toulon Provence Méditerranée) a adopté depuis 2004 le statut d’Établissement Public de Coopération Culturelle. Les EPCC (loi de 2002) sont un outil de partenariat entre les collectivités territoriales au service des structures culturelles et artistiques de taille suffisante tenant compte des spécificités et des besoins de ce secteur. Les règles générales d’organisation permettent de garantir l’indépendance de leurs directeurs dans les choix artistiques ou culturels dans les conditions prévues par le conseil d’administration. Celui de l’Opéra Toulon comprend onze représentants de la communauté d’agglomération TPM, cinq représentants du département du Var, le maire de la commune de Toulon, trois personnalités qualifiées désignées par TPM et le département du Var, et trois représentants élus du personnel.
Les EPCC peuvent avoir un caractère administratif (EPA : musée, enseignement artistique…) ou industriel et commercial (EPIC : spectacle vivant, théâtres, opéras…). Dans le cadre des EPIC, le directeur peut embaucher ou licencier le personnel et être révoqué à la majorité des deux tiers du conseil d’administration. Quatre opéras ont choisi cette forme juridique : Dijon, Lille, Rouen et Toulon. À la demande des partenaires sociaux, l’Opéra de Toulon TPM a opté pour le statut d’EPIC de manière à conserver aux personnels un statut de droit privé. L’établissement est fortement dépendant des subventions versées par le département du Var et la communauté d’agglomération Toulon Provence Méditerranée (près de 10 millions d’euros), les recettes (billetterie, mécénat…) dépassent les 2millions d’euros. Les dépenses de personnel constituent près de 80 % des charges pour une soixantaine d’artistes titulaires (musiciens, chœurs…) et une centaine d’employés (administration, gestion, production, technique, formation, accueil des publics, communication, entretien et sécurité…). Ces ordres de grandeur sont comparables à ceux d’opéras de même envergure ; à multiplier par deux pour l’Opéra du Rhin qui regroupe trois théâtre lyriques, à multiplier par quinze pour l’Opéra de Paris sous tutelle des ministères de la Culture et des Finances.
D’autres opéras fonctionnent sous forme d’une régie municipale directe (Avignon, Nice, Marseille, Toulouse, Tours), d’une association (Lyon, Montpellier), d’une régie autonome (Bordeaux, Opéra de Lorraine), d’un syndicat mixte (Angers-Nantes) ou d’un syndicat intercommunal (Opéra national du Rhin). Tous ces théâtres lyriques sont des entreprises non lucratives, ce qui ne les empêche pas d’avoir à équilibrer leurs comptes. Les difficultés budgétaires de la puissance publique et l’augmentation continue des coûts les conduisent à imaginer des solutions variées (1) chaque année plus précaires.
RY
Sources : Sénat, rapport des affaires culturelles 2005 / Chambre régionale des comptes PACA, rapport 2013.
Notes
- Regroupement de structures, mécénat, programmation consensuelle à faible coût de production, co-production, location de salle, prestations diverses…[↩]