Jean-Claude Gaudin © Marsactu

Heures sup’ bidons à la mairie de Marseille : Jean-Claude Gaudin va plaider coupable

Selon les informations de Marsactu, Jean-Claude Gaudin et sa garde rapprochée admettront avoir commis un « détournement de fonds publics par négligence » dans ce dossier concernant les horaires des agents municipaux. L’audience d’homologation est prévue le 22 mars à Paris.

 

 

Les quinze journées d’audience sont bien parties pour se résumer en une demie. Pas de grand déballage sur la gestion Jean-Claude Gaudin mais un petit après-midi d’échanges convenus à l’avance. Selon nos informations, l’ex-maire de Marseille de 1995 à 2020 et le parquet national financier (PNF) sont désormais d’accord : l’élu va plaider coupable dans le dossier dit des heures sup’ bidon de la Ville de Marseille dans lequel il est poursuivi pour « détournement de fonds publics par négligence », un délit passible d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Le rendez-vous est fixé devant la 32e chambre du tribunal judiciaire de Paris mardi 22 mars à 13 h 30.

Cette procédure dite de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), dont La Provence avait révélé la possibilité, visera le maire de Marseille et cinq de ses collaborateurs. Son directeur de cabinet Claude Bertrand, son directeur général des services Jean-Claude Gondard, son adjoint Jean-Pierre Chanal et les directeurs des ressources humaines successifs Henri Sogliuzzo et Yves Rusconi. L’ex-directeur du SAMU social René Giancarli est lui aussi visé. Tous ont depuis quitté la Ville de Marseille.

La procédure de CRPC impose que chacun reconnaisse les faits reprochés et accepte la peine que propose le PNF, qui fera l’objet d’une ultime négociation mardi 22 mars au matin. Elle doit ensuite être homologuée par le juge qui détermine si les peines proposées « sont justifiées au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur », explique le code de procédure pénale. Ce procédé est régulièrement utilisé par le parquet national financier.

 

Une gestion des ressources humaines à la dérive

Dans ce dossier, le parquet national financier a relevé plusieurs griefs et notamment « l’absence de contrôle de l’effectivité du travail réalisé », « la “forfaitisation” des heures supplémentaires » pour certains agents ou « le paiement d’heures supplémentaires non réalisées » pour d’autres.

 

« Les premiers constats des enquêteurs ont porté sur le service du SAMU social où la durée de travail annuelle n’était pas respectée. »

 

C’est à un examen minutieux de ces entorses que se sont livrés les gendarmes de la section de recherches des Bouches-du-Rhône chargés de l’enquête. Service par service, ils ont décortiqué le fonctionnement municipal en matière de gestion du personnel. En 2017, l’enquête a démarré au sein du SAMU social avant de s’étendre progressivement. Dans ce service chargé de venir en aide aux plus démunis, ils ont découvert une organisation atypique où, malgré l’efficacité du travail, le nombre d’heures légales, 1607 sur un an, n’était pas atteint.

D’autres situations contraires à la loi sont ensuite mises à jour. Ils constatent ainsi au sein du service Allô Mairie un service rendu de 1461 heures annuelles, ce qui n’empêche pas certains agents de toucher des heures supplémentaires. Dans les musées, les enquêteurs notent que jusqu’en 2017, les agents ne travaillent que 26 heures par semaine au lieu de 35. Dans un garage de la Ville, d’autres fonctionnaires ne travaillent qu’une semaine sur trois sans calcul réel du nombre d’heures effectuées à l’arrivée.

 

Des « récompenses » hors de tout cadre légal

De manière générale, l’octroi des heures supplémentaires ressemblait à un moyen d’offrir un complément de rémunération dérogatoire aux grilles de salaire de la fonction publique. « On n’a que les heures supplémentaires pour récompenser les agents qui bossent réellement », témoigne ainsi un chef de service coopératif devant les enquêteurs. Les secrétaires des élus touchaient systématiquement 25 heures supplémentaires chaque mois, une pratique « validée par les élus municipaux », note le PNF.

Rattaché à la direction générale des services, un agent percevait systématiquement l’équivalent de 28 heures de plus chaque mois, « qu’il les effectue ou non », pour un gain supplémentaire annuel de 11 594 euros. Un huissier placé auprès du maire de Marseille touchait selon le même mécanisme un bonus annuel de plus de 13 000 euros. Travaillant au cabinet du maire, un employé cumulait, sur sa fiche de paye, 1 400 heures supplémentaires « soit pratiquement le temps de travail annuel d’un salarié moyen ».

 

« Partie civile, la Ville de Marseille va demander des réparations financières. »

 

En tout, ce sont un peu plus de 800 agents qui, selon les enquêteurs, ont bénéficié de ces largesses. Pour le seul SAMU social, le coût pour la Ville de Marseille atteignait un million d’euros par an, ce qui laisse imaginer l’ampleur de la facture. Constituée partie civile, la Ville de Marseille sera représentée lors de l’audience du 22 mars. Elle formulera alors « des demandes de réparation », assure son avocat Rémi-Pierre Drai ; c’est-à-dire qu’elle demandera aux prévenus de payer tout ou partie de l’argent public ainsi dilapidé.

L’enquête dénombre 16 alertes reçues à partir de 1996 par le maire et ses principaux conseillers sur ces irrégularités héritées de l’époque de Gaston Defferre, maire socialiste de 1953 à 1986 et de son successeur Robert Vigouroux, jusqu’en 1995. À plusieurs reprises, des tentatives de réforme ont avorté. Le directeur de cabinet Claude Bertrand s’est retranché sur un « risque de conflit, voire de persécution par les syndicats » pour justifier une inaction qu’il qualifiait alors de « période de latence ». Jean-Claude Gaudin assurait quant à lui qu’il était resté dans l’ignorance de ces dysfonctionnements. À la fin de l’enquête préliminaire, il a même dit « contester toute négligence ». La procédure qu’il a choisie va désormais l’obliger à un acte de contrition inédit.

 

 

Jean-Marie Leforestier