Hypatie ou la mémoire des hommes au Théâtre Gyptis

Hypatie ou la mémoire des hommes au Théâtre Gyptis

Hypatie prenante

En abordant quelques problématiques éternelles, la nouvelle création du Gyptis, Hypatie ou la mémoire des hommes, trouve sa pertinence et sa modernité.

Hypatie.jpg

Basée sur des évènements sujets à controverse (la disparition de la Bibliothèque d’Alexandrie, la mise à mort d’Hypatie…), la pièce de Pan Bouyoucas n’a pas pour objectif l’établissement d’une vérité historique ou la réhabilitation d’une personne. Elle fait sienne une des hypothèses retenues par les historiens : celle de moines incendiaires, faisant table rase du savoir de l’humanité afin d’asseoir le pouvoir grandissant de l’Eglise. Deux camps se font face et chacun se revendique source de « lumière » : Hypatie via le savoir et Cyrille l’Evêque d’Alexandrie via la foi. S’ouvrant sur un incendie et se terminant sur un bûcher, Hypatie dépeint une vie faite enfer par cette parenthèse de flammes et l’ambition politique du Prélat. Oreste le Préfet romain symbolise la loi des hommes à laquelle on fait dire ce que l’on veut. Conquérant, Cyrille personnifie le pouvoir fanatique et absolu. Autour et en fonction de ses exactions se positionnent les autres. Son attaque initiale a figé Hypatie dans un rôle de résistante, puisqu’elle renonce à vivre et à aimer tant que ne sera pas rouverte la bibliothèque. Il a aussi semé le doute dans l’esprit du diacre Jean, interprété avec nuance, justesse et belle présence par Martin Kamoun. La foi et le doute, qui se conjuguent en lui, en font le personnage le plus sensible, le plus évolutif et, finalement, la vraie lumière. Il figure, et plus encore qu’Hypatie, la voix de la raison, à laquelle il est fidèle sans en faire une religion. Au moment où le sort d’Hypatie sera scellé, cette voix, pas plus que celle de la loi des hommes, ne saura se faire entendre. Ainsi les civilisations se supplantent-elles, chacune plantant son glaive, sa croix ou son drapeau dans la chair de la précédente. Elles suivent un calendrier identique (naissance, croissance, intransigeance et décadence), mais décalé. Et ce décalage n’est aucunement une expérience transmise, mais un prétexte à conflit, une rupture plus qu’une succession. C’est ce perpétuel déni de « justesse », des civilisations comme des générations, que stigmatise, en mêlant théâtre, musique (avec l’Ensemble Télémaque), chant (avec la soprano Murielle Tomao) et danse (avec la compagnie Grenade), la création d’Andonis Vouyoucas.

Texte : Frédéric Marty
Photo : François Mouren-Provensal

Hypatie ou la mémoire des hommes
: jusqu’au 6/02 au Théâtre Gyptis (136 rue Loubon, 3e). Rens. 04 91 11 00 91 / www.theatregyptis.com