Photographe marseillais au geste subtil, vagabond sans illusions, voleur de temps en sursis, Pascal Grimaud expose à l’Atelier de Visu… (lire la suite)
Photographe marseillais au geste subtil, vagabond sans illusions, voleur de temps en sursis, Pascal Grimaud expose à l’Atelier de Visu
« Où qu’elles soient faîtes, ces images sont le fruit d’une longue approche et montrent les étapes d’une rencontre avec l’autre… » C’est dit d’emblée (et écarté une fois pour toute) à qui voudrait croire que les photographies de Pascal Grimaud utilisent l’étranger — l’ailleurs et son flot de clichés, entre exotisme et misérabilisme, une tendance que sait particulièrement exploiter un certain type de presse ainsi que certaines expositions grand public qui tendent à faire de la pauvreté un écrin de beauté — comme source d’inspiration. Bien au contraire, l’œuvre de ce photographe se situe sur un autre terrain : celui du temps en suspens, de l’individu et de sa condition. Si la plupart des photographies sont nées au fil de ses voyages aux Comores, à Madagascar, en Roumanie et au Venezuela, c’est avant tout le regard intérieur et la sensibilité de l’artiste qui les ont permises, bien plus que le lieu lui-même. En témoigne la présence indiscernable de clichés pris à Marseille : cherchez bien, vous ne les reconnaîtrez pas… Seules comptent les parcelles d’existences de tous les ailleurs de la Terre (là-bas comme ici) saisies par l’œil du photographe, ces petits riens qui racontent l’individu, son présent, ses souvenirs comme son avenir.
Une série de portraits en noir et blanc, légèrement en décalage par rapport au tempo envoûtant des autres photographies, ouvre l’exposition : douze individus différents, dont le regard et l’attitude semblent pourtant tous dire « Je suis là. Regarde-moi bien, tu ne le sais peut-être pas, mais je suis quelqu’un. Retiens mon visage ». Là, aucune illusion, l’ensemble rapporte le fil humain tissé par chacun. Sans suivre la même démarche, ces portraits rappellent ceux, saisissants, du Brésilien Sebastiào Salgado, autant de gosses photographiés partout où l’enfance est mise à mal par la misère et la faillite politique. On y retrouve un même respect de la personne photographiée, la capture non pas d’un instant, mais d’une identité. Quelques pas plus loin, le regard croise une série de photographies en couleur, vives et rythmées ; dans l’une une cravate rouge, dans l’autre un bustier rose s’échappe de la tonalité douce, voilée de la photographie. Une photographie partagée entre un fond pastel et légèrement flou pour certaines, révélant parfois un espace délabré, dense et sombre pour d’autres, et parfaitement net mais dans un cadre bousculé pour les dernières, qui dévoilent sans orgueil un mur en taules. Le regard de Pascal Grimaud semble nourri de peinture : la couleur et le cadrage retrouvent parfois l’atmosphère des tableaux d’Edward Hopper, et s’il ne parcourt pas les mêmes lieux, il capte un je ne sais quoi semblable qui touche à la tension latente de l’instant, à la mélancolie qui entoure tout être solitaire, au rêve d’un ailleurs loin d’ici. L’accrochage permet un subtil échange de sens d’une photo à l’autre, entre rupture d’espace et temporalité confondue, tel le lien étroit qui semble unir l’image de quelques vêtements présentés sur des bustes féminins pourtant inanimés à celle d’un jeune homme au regard tendu par le désir : de l’une à l’autre semble se dessiner une histoire… Désillusionnés, nous pénétrons dans l’univers intime que chacun tisse autour de lui. Mais attention à ne pas perdre pied. Dehors existe. La porte est grande ouverte, c’est le moment de s’échapper, de quitter le lieu lui-même de l’exposition volontairement hors du temps, d’effacer ce silence et de retrouver les voix et les rires. Le photographe lui-même a su s’arrêter dans ce geste d’équilibre. «Lorsque l’innocence glisse, s’échappe, la pratique photographique s’apparente à une trahison. L’illusion de l’expérience du monde s’éclipse. Ces jours là, toutes les villes se ressemblent».
Diane Melot