Jarred McGinnis © Sarah McGinnis

Identité Remarquable | Jarred McGinnis

Livre comme l’air

 

À l’occasion de la sortie de la version française de son roman Le Lâche, nous avons rencontré son auteur, Jarred McGinnis, qui a gagné en septembre le Prix du premier roman étranger 2022. Portrait de cet écrivain floridien qui s’est installé dans la cité phocéenne pendant le confinement, par le pur fruit du hasard.

 

 

Il n’allait pas de soi que l’ouvrage soit publié dans ces conditions. Historiquement, Anne-Marie Métailié s’est fait une place dans le monde littéraire en se spécialisant dans les auteurs hispanophones et lusophones, s’élargissant par la suite « au-delà des cultures dominantes ». Nicolás Rodriguez Galvis, l’un de ses éditeurs, aborde la publication de The Coward en voyant le nom irlandais de l’auteur. Lorsqu’ils constatent tous deux que ce dernier est plus enclin à supporter les Gators qu’à chanter en gaélique, la directrice littéraire a un moment d’hésitation. Mais l’humour se dégageant de ce roman sensible va initier l’aventure de sa traduction, en collaboration avec Marc Amfreville, qui s’est attelé à en comprendre les foisonnants néologismes et micro-références empreintes de culture texanes. Jarred insistera d’ailleurs pour que son nom figure sur la page de titre et qu’un générique complet soit apposé en fin d’ouvrage pour saluer la dynamique de groupe.

C’est à l’orée de l’année 2020 que Jarred, sa femme et ses deux filles décident de migrer vers un climat plus en accord avec leur passé floridien. Prônant depuis toujours la tolérance d’un Claude McKay et l’ambition d’un Hemingway, l’écrivain, qui rapproche sa curiosité de celle d’un pigeon prêt à bondir, a tout de suite pensé que la populaire cité phocéenne possédait les qualités humaines capables de les accueillir.

Initialement chercheur en intelligence artificielle à Édimbourg et consultant au King’s College de Londres, Jarred McGinnis a développé de nombreuses réflexions quant aux technologies sémantiques, telles que le traitement du langage naturel et les données qui y sont liées dans l’industrie de l’information (citant au passage Albert Camus pour étayer certains de ses propos). Bien que révolu, ce passé scientifique a persisté dans sa manière de considérer la structure d’un roman et de décortiquer les raisons de certains succès littéraires. Précisant que son goût pour ses ouvrages préférés relève de la véritable obsession, il s’est plongé dans ces derniers, tour à tour, en persistant à analyser ce qui constituait intrinsèquement l’addiction que suscite un polar réussi. Une réflexion qui lui a permis de réaliser la générosité du lecteur, car la nature même du livre sous-tend que l’on ne puisse s’y intéresser uniquement en faisant abstraction du reste.

Aussi, c’est tout naturellement qu’il a animé des ateliers d’écriture à plusieurs mains auprès de publics novices, mais également développé une pensée autour du lire pour soi en lien avec la lecture publique (que dénote une traduction anglaise parfois un peu confuse). Cette volonté a vu le jour à travers Moby Dick Unabridged, un projet en partenariat avec le centre Southbank de Londres et dans le cadre du London Literature Festival. Une sorte d’œuvre d’art totale et immersive, dans laquelle la lecture sur quatre jours de l’œuvre de Melville était ponctuée de performances théâtrales et dansées, de sculptures, d’illustrations et d’interventions bénévoles de plus de 300 lecteurs. En 2015, un autre projet qu’il a produit pour l’artiste Sam Winston, A Delicate Sight, consistait en une résidence littéraire expérimentale où un groupe d’auteurs appréhendait l’écriture dans une obscurité totale.

Quand on lui demande la part d’autobiographie dans Le Lâche — soit l’histoire d’un jeune homme à qui un accident de voiture va coûter sa mobilité —, Jarred nous répond calmement que c’est dans l’apport psychologique qu’elle est prépondérante. La question du handicap s’efface au fil des pages, et n’est en fin de compte qu’une excuse pour un personnage dont la rancœur et l’égocentrisme détruisent son entourage. Plus que les conséquences de l’accident, la relation père/fils y est explorée de manière doucereuse, mais aussi la notion d’attente, cette période « Wait and see » où l’on assimile chaque jour à une épreuve à surmonter. Mais c’est aussi un pied de nez subtil et délibéré en réponse à certains éditeurs américains ou anglais, qui lui demandaient d’écrire un roman autour de la notion du handicap, soudain devenue « vendeuse ».

Pourtant, dans son dernier projet, In Billions of Years, the sun will swallow the Earth, en collaboration avec le photographe Andy Sewell, Jarred McGinnis s’interroge sur la notion de parentalité en lien avec le handicap pendant la crise du Covid à Bethnal Green (Londres). Une sorte de triptyque temporel mêlant texte et image, et qui agira comme point de départ pour son prochain roman, dans lequel il retracera l’histoire de ses ancêtres jusqu’à la guerre de Sécession. Résolument autobiographique cette fois-ci, cet ouvrage permettrait d’après lui de faire comprendre à ses commanditaires pas toujours bien informés la complexité de résumer un récit de vie dans son entièreté, de nuancer la vérité qui se mêle dans toute histoire personnelle.

 

Laura Legeay

 

Dans les bacs : Le Lâche de Jarred McGinnis (éditions Métailié)