Identité Remarquable | La famille Maraboutage
Afro jojos
Bijou marseillais au déhanché signature, la famille Maraboutage envoûte depuis cinq ans le public d’une culture afro sublimée. Entretien avec celleux qui font briller les nuits, suer les corps et remplissent les cœurs d’un feu tout-puissant.
Langues bien pendues à la punchline facile, grandes étreintes chaleureuses et tenues tape-à-l’œil : rencontrer le collectif Maraboutage en dehors de la scène, c’est assister à une célébration intime d’une famille sacrée. Géo et Ben ont allumé cette petite flamme en 2018, dans le sous-sol du feu U.percut, pas loin du Vieux Port. Sous les doigts du premier défile une collection de vinyles aux registres afro de type baile funk, kwaito, kuduro ou encore dancehall. Ben les complète par ses influences électro house et ils se retrouvent dans leur passion pour le hip-hop, concoctant alors de quoi secouer les oiseaux de nuit marseillais. « Il y a cette scène underground hyper installée à Marseille et de manière générale en Europe, qui donne toute la place à la techno. On aime tous les deux faire la fête, il était temps de proposer autre chose, de célébrer d’autres cultures musicales trop peu connues et pourtant incroyables », revendique Géo. Sous les voûtes de la petite salle dont le plafond s’effrite, une ambiance du tonnerre. Henri (Sun), Barak (Scorpio Queen) et Maryam sont les premier·e·s à accompagner les sets des deux Dj par leurs danses libérées. Rencontré·e·s sur le dancefloor, iels montent spontanément sur scène et bougent leurs corps à merveille. Maryam rentrait de Rio : « Jamais j’aurais pensé retrouver à Marseille des fêtes comme là-bas ! Dans cette toute petite salle ; il y avait de tout et tout le monde se lâchait, les gens étaient en sous-vêtements, il faisait une chaleur de bête, c’était chaud ! » En 2019, le collectif s’étoffe et entre en résidence au Makeda. À sa sortie, il boucle trois soirées à guichet fermé, freinées tout à coup par l’épidémie. « On est passés d’une toute petite cave à une salle de trois cents personnes, et on en a profité pour revoir le rapport à la scène. On a décentralisé la place du Dj en le mettant sur le côté, ce qui a inversé la tendance et permis de mettre les danseur·euse·s en avant, favorisant les moments de “shine” », se souvient Ben. S’ensuivent alors — quand l’actualité sanitaire le permet — les incontournables de Marseille, comme la Friche, le Baou, le Chapiteau et bien d’autres.
Depuis, la petite dynastie s’est complétée, accueillant des performeur·euse·s parfois de passage, explorant sans cesse de nouveaux horizons. Toustes artistes pluridisplinaires, chacun·e exprime au sein de cette récente famille ses nombreux talents, en faisant chaque fois une valeur ajoutée. Direction artistique, make-up, création de costumes, réalisation, MC… Couteaux-suisses hors pairs, les membres de Maraboutage créent un espace de recherche et célèbrent la musique afro. Ce concentré sensationnel est le résultat de leurs pratiques et influences singulières regroupant tous types de danse, allant du krump et autre streetdance au contemporain ou jazz, du hip-hop, de la transe intense au classique ballet, sans oublier le voguing, l’afrovibe et le tant adoré twerk. Pourtant, ce qui les fait exister ensemble n’est en rien technique, et ne se travaille pas vraiment. Quand on leur demande comment iels élaborent ces représentations uniques, c’est avant tout leurs énergies qui parlent. « Nous ne sommes pas vraiment des personnages, commence Marie Khane (Baby Fox), mais plutôt des incarnations. » Adriano (Dinosmosis) acquiesce : « Les énergies qu’on amène sur scène font évoluer cette incarnation au fil du temps. Cette relation se réinvente à chaque fois, à chaque performance, et ne peut pas se prévoir. Elle est parfois très surprenante, on ne se rencontre pas toujours, mais on sait se relayer et se transformer pour faire muter ces vibes. » « Oui, c’est vraiment comme si on était attiré dans l’essence de l’autre, et en se connectant, tout se déploie puissance mille ! Ça nous invite aussi à toujours plus nous connecter à notre propre sacré », appuie Jessica (Toopiti).
Pour que ces cérémonies magiques existent, Maraboutage se positionne et revendique un manifeste défendant la fête libre, la bienveillance envers toustes et la célébration de tous les humains, condamnant ainsi l’intolérance. Le cœur de cette famille, le défi qu’elle relève à chaque évènement, c’est la défense d’un « safe space ». Toute forme de violence est proscrite, seuls l’amour, la communion et le « fun » sont les invités de ces réjouissances. Les derrières qui sautillent sous des habits de lumière oui, les mains dessus sans qu’elles y soient conviées, non. Et personne n’hésitera à pointer du doigt le ou la minable qui oserait ne pas respecter cette règle. « C’est à nous de véhiculer ça, et de montrer qu’il n’y a aucun dialogue possible avec des personnes aussi “has been”. C’est dehors direct », appuie Maryam.
Cette année 2022 a été celle d’une tournée riche, qui s’achève à peine. Sur la saison estivale, ce sont plus de quarante dates enchaînées les unes après les autres, conviant à cette sorcellerie du bonheur un public toujours plus éclectique. Si Marseille, c’est « la maison » et qu’iels y sont accueillis comme les plus belles divinités, notamment à Marsatac ou au Delta dont toustes ont un souvenir mémorable, c’est parfois des performances un peu moins fluides qu’iels expérimentent. « En Ouganda, pour un festival, le public était juste debout et ne bougeait pas. On était plusieurs à être vraiment décontenancés, et peu de temps après notre passage, alors qu’on était en grosse remise en question, on a croisé des gens qui nous avaient vus. Ils ont trouvé ça incroyable et étaient sous le choc, donc c’est finalement une question de culture, parfois », reconnaît Dino. « Oui, ou juste de public ! Quand il y a un festival qui dure depuis trois jours et que tu passes tard dans la nuit, forcément les gens sont très drogués et juste absents », reprend Barak en se souvenant de leur passage sur une petite île cet été… « Et inversement, des endroits très guindés comme la côte basque où c’était pas du tout notre public, tout le monde s’est lâché, c’était à mourir ! Parfois, les gens sont pas prêts ! »
Sorte de thérapie à double sens, toute aussi bénéfique pour celleux qui la génèrent que celleux qui la reçoivent, la comète Maraboutage brûle sur son passage la routine nocturne et enflamme les dancefloors des plus beaux sortilèges. Leur teaser Feu sort pile en même temps que ce numéro, et saura sans doute vous convaincre !
Pour 2023, le collectif se concentre sur un format cabaret, ainsi que sur la sortie de leur label. Des collaborations avec le Ballet National de Marseille sont également prévues grâce à l’entrée de Maryam comme artiste associée. Et parce que c’est chez soi qu’on se sent le mieux, leur dernière date de l’année nous convie à un Noël des Familles ce vendredi 16 décembre au Makeda. Tous les dons y sont destinés à la collecte de jouets pour des associations.
Alors, qui n’a pas encore été Marabouté ?
Hermine Roquet Montégon
La famille Maraboutage sera au Makeda vendredi 16 décembre à partir de 22h.
Rens. : https://lemakeda.com
Le Soundcould du collectif : https://soundcloud.com/maraboutage