Âme sœur

Entre un DJ set avec DouceSœur au festival Basses Fréquences à Vitrolles, un live avec son nouveau duo Pristine Pit et un set en b2b au Bon Air le 17 mai prochain, rencontre avec Mila Necchella, DJ et productrice basée à Marseille, au profil hybride et initiatrice du projet Sororo-Club.

    Avant de s’imaginer faire de la musique son métier, Mila Necchella suit des études culturelles à Lille, période à laquelle elle découvre le milieu de la musique électronique (avec les grandes scènes de Paris, d’Amsterdam et de Belgique tout près). Elle traverse l’Atlantique pour faire un stage dans un festival de musique à Montréal et commence à développer une importante culture musicale. Rapidement, la jeune femme constate que le milieu est essentiellement masculin : « J’avais beaucoup d’amis hommes qui mixaient en soirée (…), mais en fait, je voyais jamais une femme le faire, je n’avais aucune représentation. À l’époque, il y avait déjà des femmes qui jouaient, mais c’était quand même à la marge, des grands noms comme Nina Kraviz ou Charlotte de Witte. » Actuellement, de plus en plus de femmes commencent à mixer, à se professionnaliser, à avoir une plus grande notoriété. Mila se demande d’ailleurs « si on les booke parce qu’elles sont des femmes pour les quotas » dans un élan de « feminism washing » et conclut que « si ça peut leur servir, tant mieux ! » Elle souligne qu’un réel changement adviendra lorsqu’il y aura plus de personnes minorisées à des postes de responsabilité, et c’est déjà le cas, selon elle, à des postes de programmation et de direction. Comme beaucoup d’artistes femmes DJ et productrices avec qui elle en discute, les premiers confinements en 2020 ont été une période propice à la création sonore et l’apprentissage du DJing. Mila prend alors conscience du temps précieux qu’elle a pour elle, en étant au chômage partiel (elle travaille à ce moment-là pour une agence artistique en musique), et nourrit cette « envie de créer, de remplir ce vide qui était comblé par le travail. » Elle s’équipe en matériel pour apprendre à mixer, puis commence à jouer dans des soirées privées : « J’ai eu l’impression d’avoir toujours fait ça, et ça m’a vraiment grisé ! », confie-t-elle avec enthousiasme. Les contacts se multiplient et Mila joue pour de grands lieux culturels et des événements comme la Fashion Week : « C’était un grand pas en avant parce que je commençais à peine à mixer, mais ça m’a tout de suite donné une légitimité et une crédibilité : je me suis dit que j’en étais capable. » Mila Necchella aime mixer ce qu’on appelle la global bass, qui « englobe tous les courants de la bass music : drum’n’bass, jungle, Baltimore club, etc… » Elle aime diversifier ses sets, qu’elle souhaite très dansants, et rappelle à quel point digger (chercher et acheter de la musiques d’autres producteur·ices) est un travail essentiel (et titanesque !) en tant que DJ. Mila réfléchit rapidement au développement d’une identité d’artiste, et s’installe à Marseille, dont elle suivait de loin la scène musicale « en ébullition ». Et c’est ici qu’elle rencontre son booker actuel : « Loïc m’a prise sous son aile dans son agence Savon Noire. »   Liberté, égalité, sororité Mila poursuit alors un projet qui lui tient très à cœur : le Sororo-Club (de « sororité », vous l’aviez). Le but ? « Mettre en avant des parcours de femmes inspirantes dans la musique électronique, DJ ou productrices. » Et ce, d’abord par le biais d’une émission de radio mensuelle, hébergée et diffusée sur Station Station et Radio Grenouille. Mila y invite des artistes à parler de leurs parcours, puis à faire un set avec la même contrainte qu’elle s’impose à elle-même dans ce cadre-là : une tracklist 100 % féminine. En commençant à mixer, la jeune femme s’est en effet rendu compte que les listes de musiques étaient souvent constituées de morceaux d’artistes masculins, bien qu’il y ait de nombreuses productrices. Si elle continue d’intégrer des morceaux d’artistes masculins dans ses sets, elle cherche à interpeller les producteur·ices et auditeur·ices avec cet « exercice assez inédit pour elles, qui les forcent à se demander “quelles sont les meufs qui tuent dans ma collection de musique ?”. Ça les interloque et les sensibilise aussi, cette question-là. » Elle ne souhaite pas que cet axe militant occulte ce côté « où tu peux ambiancer une soirée et faire danser les gens », mais accorde dans son travail une grande place aux notions de solidarité et de cooptation entre femmes. En fin d’année 2023, le Sororo-Club devient une association, dont l’objet officiel est « de défendre l’égalité des genres dans la musique électronique. » Outre l’émission, l’asso propose des rencontres, des conférences, des soirées musicales (avec des plateaux de femmes et de personnes queer). Mila anime également des ateliers de transmissions, pour adultes mais aussi pour enfants, histoire de « préparer la prochaine génération » aux notions d’égalité et de représentations. Les ateliers Sororo-Kids ont notamment été dispensés à des élèves de CM2 à l’occasion du festival Babel Minots : « À la fin, tout le monde voulait devenir DJ ! » L’artiste décline le projet dans sa version « Sororo-Lab », qu’elle conçoit pour le Cabaret Aléatoire (soutenu par le Centre National de la Musique), dédié à la pratique du Djing à destination de personnes minorisées. Ce sont des ateliers gratuits pour des artistes en voie de professionnalisation, afin d’approfondir des compétences et des connaissances dans la pratique du Djing, de la technique au coaching scénique, en passant par la préparation d’interview. Ces temps d’échange permettent également à des DJs de la scène marseillaise de se rencontrer et ainsi « créer une synergie » chère à Mila. En évoquant ses multiples activités, elle apprécie cette effervescence et cette complémentarité (et s’avoue « un peu hyperactive ») : « Je crois que je pourrais pas être que artiste, je trouve ça essentiel d’avoir ce profil un peu hybride et d’être à la fois artiste, DJ, productrice, mais aussi organisatrice de soirées, militante, chargée de projets, journaliste… et programmatrice aussi, puisque je programme sur un festival qu’on organise avec des ami·es en Ardèche chaque année, là c’est la huitième de Oh Plateaux (du 26 au 28 juillet, ndlr) ! » Tous ces projets permettent à Mila de se sentir ancrée dans la scène musicale locale et de « conscientiser certaines réalités de l’industrie de la musique électronique. » Elle fait à présent partie d’un collectif sans homme cisgenre, Bass Juice, en résidence à Ola Radio, avec quatre autres artistes qui partagent des esthétiques proches. Elle se lance également dans la production avec un live en duo (Pristine Pit) avec « son partenaire de vie », que l’on pourra découvrir le 27 avril au Club Coop à Marseille dans le cadre du Bon Air Off. Un début de printemps exaltant pour la jeune femme, programmée au Bon Air en b2b avec Bwi-Bwi pour l’ouverture d’une scène de 1 500 personnes. Une première pour Mila : elle a hâte, et nous aussi !

Lucie Drouot

Rens. : www.instagram.com/mila_necchella/

Crédit photo : Mona Boitière