Identité Remarquable | Oni Giri
Une touche de jazz
Le néo-Phocéen Rémi Denis, ingénieur dans le civil mais avant tout pianiste de jazz pour le quintette Oni Giri, est particulièrement concentré sur la sortie du second album du groupe en cet automne 2023. L’occasion de faire le point sur ce disque et d’évoquer d’autres pans de la créativité de cet artiste en jazz.
Enregistré au mythique studio de La Buissonne, à Pernes-Les-Fontaines, Le Jardin des rêves aligne huit compositions signées du pianiste. Son appétence pour ce qu’il nomme le « jazz contemporain » se retrouve au fil des titres, entre recherche d’un jeu en miroir entre les différents instruments pour déployer des mises en abyme surprenantes et séquençage pour le moins elliptique des compositions, qui offrent à l’auditeur·trice des horizons oni(gi)riques inédits. « Pour composer, je peux partir d’une berceuse que j’improvise avec mon fils sur les genoux (Chanson pour cinq doigts, ndlr). J’ai développé la mélodie, je l’ai légèrement transposée, modulée pour la jouer à la main gauche avec la contrebasse, harmonisée et ajouté une seconde partie. »
Les cadres mouvants des morceaux sont autant d’écrins dans lesquels les interactions entre musiciens se révèlent d’un naturel confondant. Si certains thèmes relèvent d’un format peu ou prou conventionnel, fût-il teinté d’une tentation rap qui n’est pas sans rappeler l’art d’un Robert Glasper, que le pianiste révère, d’autres sont autant de labyrinthes pour les sens. « C’est peut-être dans la conception rythmique que j’en appelle à mon côté scientifique. Je fais en sorte de ne pas être absolument dans les clous des mesures à quatre temps, quitte à mettre la rythmique en difficulté. Pour Swing the Swiffer par exemple (un morceau inspiré par la démarche de sa chatte, ndlr), c’est un enchaînement de mesures impaires qui constitue la base de la composition. C’est quelque chose qu’on peut trouver dans le travail de Tigran Hamasyan, du jazz progressif. C’est certainement une démarche assez intellectuelle. J’essaye de faire en sorte que des “tournes”(1) soient un peu inhabituelles afin que le batteur trouve des façons de jouer qui s’imbriquent. Après, si on n’y arrive pas, on n’y arrive pas. » Le fait est que, sur ce second album, ils font plus qu’y arriver !
La recette de cette deuxième livraison d’Oni Giri ? Déployez des dialogues élastiques entre un piano qui ne se répand pas en virtuosité mais cherche la simplicité du naturel et une batterie poétique — tenue par un David Carniel en grande forme —, et bien sûr avec les autres instruments. Laissez une grande liberté à la contrebasse (Damien Boutonnet, confondant de naturel). Donnez aux cuivres toute licence pour se montrer tantôt facétieux en évitant des traits d’ensemble conventionnels, tantôt mélancoliques avec une forte connotation spirituelle et sensuelle (Say Nagoya aux saxophones ténor et soprano, Christophe Leloil à la trompette). L’intégration de ce dernier, leader d’autres projets aux esthétiques singulières, s’est faite, selon Rémi Denis, « de façon très naturelle, par des relations de voisinage presque. Il a vraiment une écoute du jazz contemporain, un peu comme nous. On a par exemple le trompettiste Ambrose Akinmusire comme référence commune. Il nous a apporté son expérience, en particulier pour préparer l’enregistrement au studio de La Buissonne et, comme il connaissait déjà Gérard de Haro (le boss du studio vauclusien, ndlr), nous a permis de prendre des décisions lors de la session même. » Il paraît que le nom du groupe, en plus d’être celui des délicieuses boulettes de riz japonaises, a quelque chose à voir avec quelque « devoir des démons ». On veut bien les croire, tant leur musique ne nous lâche pas !
Rémi Denis ne se contente pas de tourner avec Oni Giri, qui donnait récemment un concert au mythique club parisien Sunside. Il est aussi le concepteur de jam sessions thématiques au Blum-Canebière — devenu l’un des épicentres des jeunes jazzmen et jazzwomen en ville. La première, justement, était bâtie autour du répertoire de Robert Glasper, une référence pour lui d’abord du fait de son toucher, qu’il décrit comme à la fois « doux et puissant ». Et de préciser : « Il est très engagé dans le mouvement contre les bavures policières, avec une forte culture hip-hop. En tant que petit blanc vivant à Marseille, c’est loin de ma culture mais c’est vraiment un pianiste que j’apprécie énormément. » Ces rassemblements thématiques sont préparés avec tout le sérieux qui sied aux répertoires proposés — il y a eu deux autres sessions, consacrées à Herbie Hancock et Jaco Pastorius, pour lesquelles le pianiste/claviériste fait appel au batteur Paul Scapillati et au bassiste Paul Philibert, deux jeunes musiciens de talent pour ouvrir l’évènement. « Des occasions de rencontres toujours plus enrichissantes les unes que les autres », nous confie Rémi Denis.
Avec sa compagne Paola Mangin, il développe également un projet de captation vidéo, Du Haut de l’Oustalet, dans ce qu’il nomme son RéMiLab. « On convie des musiciennes et musiciens de Marseille, qui sont censé·e·s ne jamais avoir joué ensemble, pour des sessions en duo dans notre salon. On prête vraiment attention au son, à l’accord du son avec l’image. On limite la durée du répertoire à quinze minutes. » Passionné de photo, son attention au cadre, ainsi qu’à la chair des musicien·ne·s, est révélatrice d’une personnalité artistique plus que complète. Parmi les captations réalisées : la pianiste Maryline Ferrero avec la chanteuse Coline Fourment, le pianiste américain installé à Marseille Rob Clearfield (nous en reparlerons) avec Christophe Leloil, la chanteuse Elise Vassallucci avec la tubiste Elise Sut…
Ajoutons à cela la création du festival Torrent de Jazz à Réallon (05) — « un village où il y a une grosse communauté de bergers et de charpentiers », déclare-t-il, manière de rappeler qu’il ne veut surtout pas s’imposer comme un urbain qui dirait la vérité du jazz aux montagnards. Même s’il est nanti de cette modestie proverbiale qui font les meilleurs artisans du jazz, Rémi Denis n’en est pas moins une personnalité artistique avec laquelle le jazz devra désormais compter, au-delà même de la cité phocéenne.
Laurent Dussutour
À écouter : Oni Giri – Le Jardin des rêves (autoproduction)
Rens. : onigiri.remilab.fr
Notes
- Terme utilisé par l’artiste pour parler d’enchaînements d’accords[↩]