Des ordures et des queers
Appel à l’éveil de nos cinq sens, Voogt Plage, spectacle luminescent conçu par Phabrice Petitdemange et Madely Schott, invite à plonger dans les abysses de notre océan intérieur, pour vivre une expérience aussi cathartique que festive.
Pas aisé de définir ces deux artistes iconoclastes et à la pourtant haute spiritualité que sont Phabrice Petitdemange et Madely Schott. Le premier verse dans la musique, la seconde dans la corporalité, tous deux se retrouvent dans les arts plastiques et la performance.
Pour Phabrice, la relation entre dessin et musique se lie très tôt, marrainée par Madame Meyer, sa professeure de piano qui, pour apaiser l’enfant très sensible qu’il est alors, lui propose de transformer ses gribouillis en dessin. Adulte, il passe par des corps de métiers au demeurant très éloignés. Tour à tour opticien, ambulancier et croupier, sa vocation d’artiste se réalise au travers de la pratique du Feldenkrais et de la trompette, et par la création de plusieurs groupes avec différents acolytes : les Culs Rares de Salon, les Lumineuses Fièvres avec Laurie Bellanca (pour lequel il développe son concept de chanteur « croonard », combinaison de crooner et connard, et qui a pour ambition de jouer des slows dans des PMU), Hans Im Glück (soit Jean la Chance) avec Olivier Chevillon, acteur marseillais exilé, comme nombre de nos compatriotes locaux, dans la capitale belge. Madely elle, se rêvait plus jeune professeure de gymnastique, discipline qu’elle a pratiquée quinze ans durant. Puis elle bifurque vers une licence en arts de la scène à Paris 3, et se forme à la danse contemporaine en autodidacte, avant d’intégrer l’école de La Cambre à Bruxelles, où elle fera ses débuts de performeuse. C’est dans cette Wallonie-là que le duo se rencontre. Un coup de foudre métabolique plus tard, Voogt (acronyme de Vue, Ouïe, Odorat, Goût, Toucher) est créé et les voilà lancés sur les flots d’une résidence itinérante en quête d’énergies solaire et marine. Las du climat belge, la plage et sa mythologie les font fantasmer, ils mettent donc le cap sur la Crête. D’étape en étape naissent leurs avatars chamaniques : Colibri Languedefer et Cold Amethyst. Prolifiques et polymorphes, ils développent plusieurs capsules créatives, vidéo-clips à l’esthétique absurde et pétries de poésie dans lesquels ils se mettent en scène : Les Publicités du néant, Les Paparazzi du bonheur, Les Danses tout nu... Cette période voit aussi l’émergence de leurs Dessins oraculaires à quatre mains, concept basé sur la science molle de la « Googologie » et l’art ancestral des haïkus. Arrivés sur les terres du roi Minos, leurs pas sont mystérieusement guidés vers un camping à l’abandon, au cœur duquel il découvre une plage déserte… de déchets. Là où la plupart d’entre nous n’aurait vu qu’un tas d’immondices et aurait passé son chemin, eux y voient une réserve quasi intarissable de trésors à recycler. Fascinés par les couleurs et les matières, ils posent leurs bagages (un palmier, un dauphin et une raie gonflables) et s’affairent, le long de deux mois où ils dilatent le temps, à insuffler la vie à ce lieu oublié, qui ne semblait attendre qu’eux. Les débris glanés sur la plage leur servent à créer une myriade d’objets totems, selon les rites de ce qu’ils appellent « l’anthropoésie », inspirée de l’animisme. Ils transforment la matière inerte en des créations sensibles, dont la nature et l’identité profondes s’inventent à mesure qu’elles prennent forme, et à travers desquelles on peut voir un pied de nez souvent drôle à la surconsommation et une quête essentielle de beauté hors norme.
Cette expérience les mènera plus tard à échafauder l’idée des « Recyclean Situ », boutiques éphémères de récupération et de transformation de déchets, dont ils inaugurent la première à la Gare Franche, en avril dernier, lors de la Semaine éco-citoyenne.
Car désormais corps et âme à la Méditerranée, c’est tout naturellement qu’ils ont élu domicile dans notre belle cité phocéenne, où soleil, mer et détritus, leur sainte trinité, ne manquent pas.
Depuis lors, ils ont multiplié les résidences, à l’Asile 404, à la Déviation ou encore à l’Embobineuse, où grain de sable par grain de sable, se monte la dune de Voogt Plage.
Concert performatif avec Denis Fouquet à la contrebasse, Nora Neko au son et à l’image, Jules Bourret à la lumière, Elsa Cassili aux costumes et Marco 1katharsix en ouverture, Voogt Plage revêt une forme évolutive, vouée à muter en fonction des lieux et des intervenants, et dont la scénographie est toujours conçue in situ. C’est un mélange hybride et queer de chansons d’amour et de performances. La première partie au kitsch bizarroïde revendique un « surexotisme » et explore les clichés de l’amour à la plage au son du ukulélé de Colibri Languedefer, tandis que Cold Amethyst joue, dans une chorégraphie énergétique, sur sa plastique et les clichés liés au corps féminin. Ensemble, ils entonnent l’un de leurs tubes, Club Méditerranée, qui raconte une romance prépubère sur fond de village de vacances. On descend ensuite de quelques paliers et arrive le temps de la transe subaquatique et de la plongée dans une obscurité abyssale où les seules sources de lumières sont les « corps luminescents tels les stigmates d’une charge d’amour mise en lumière par les ténèbres. » Le musicien enfile alors sa « Doloréane » (« instrument électronique en forme de guitare conçu sur la base d’un baromètre ») et la scène-mer s’ouvre vers les spectateurs.
De retour de Paris où ils ont participé à la performance de Boris Dambly, The Blind Boxing Brides, au Palais de Tokyo dans le cadre du festival Do Disturb, et de Tours où ils étaient en résidence au Volapuk, les « militants de la joie », comme ils se définissent eux-mêmes, ont encore plus d’un projet dans leur sac, à l’instar de Madely, artiste résidente au Centre social Saint Gabriel, qui travaille à l’écriture d’une fable sur une civilisation d’ânes…
Quant à Voogt Plage, l’exploration des fonds marins se poursuivra aux 9 Salopards en mai, et au Dar Lamifa en juin.
Et bientôt, un projet de documentaire sur la plage qui les a vus naître et s’aimer.