Identités Remarquables | Amandine Habib
Musique classieuse
Si sa trajectoire s’avère ascendante et plutôt rectiligne, son dernier album ondule en rythmes comme en tonalités. Seule la musique reste classique, car le voyage auquel elle convie l’auditeur est loin de l’être. Bienvenue dans l’univers poétique et coloré d’Amandine Habib.
Quand on évoque avec Amandine Habib sa trajectoire d’artiste et que l’on écoute son dernier album, Les Ondes, on se dit clairement que le hasard n’a pas sa place ici. Quand la mandoline est jouée par une grand-mère passionnée de musiques tsigane et grecque, tandis que l’autre aïeule prend des cours pour chanter des airs d’opéra — sans compter un père amateur de jazz —, toutes les conditions sont réunies pour donner naissance à une artiste. Et quand on se roule par terre pour pouvoir jouer du piano, il est évident que l’on ne pourra pas lui refuser l’apprentissage de cet instrument. Amandine, comme les halls d’hôtel disposant d’un piano, s’en souvient apparemment.
La suite coule de source. Des études réussies en conservatoires (ceux de Marseille et Lyon) et en musicologie lui permettent de mener une carrière de concertiste, soliste, chambriste, tout en enseignant au Conservatoire de La Ciotat. Portée par l’idée que « la musique est un art de la rencontre et du partage », Amandine part au Laos afin d’étudier et d’enregistrer la musique de l’ethnie Kammu. Pour l’artiste, « la carrière est une forme de combat », qui requiert de ne pas se reposer sur ses lauriers, de s’entraîner pour réussir, et de s’investir complètement dans ses projets. Elle se refuse ainsi de sortir un disque tous les six mois pour consacrer à chaque œuvre tout le temps nécessaire et « se sentir chez soi dans un compositeur. » Après une longue exploration de Bach (Around Bach, Bach Le Haïm), Amandine se penche sur Debussy, dont elle ne connaît pas les codes et techniques spécifiques de piano. Sa passion pour l’Asie, et en particulier pour le Japon, son ode à la nature et ses haïkus, va la guider pour transformer l’art du minimalisme en économie du geste. Les écrits admiratifs de Debussy sur Couperin et ses « adorables modèles de grâce et de naturel » constitueront le déclic pour creuser encore et, patiemment, déchiffrer les 250 pièces de ce dernier afin d’expliciter des liens traversant le temps entre les deux auteurs. Le pari est loin d’être gagné d’avance. François Couperin compose pour l’orgue et le clavecin, tandis que Debussy écrit surtout pour le piano. La réussite de ce projet de rapprochement nécessite donc un jeu aérien, un véritable lâcher-prise quand le style d’Amandine est plutôt terrien, appuyé. C’est avec Bernard d’Ascoli, concertiste de renommée internationale, qu’Amandine travaille l’adaptation de son jeu pour Les Ondes. À cette préparation de longue haleine s’ajoute un enregistrement de spartiate en trois jours dont 80 % est réalisé en concert, et un piano Steinway réglé à l’Horowitz, ce qui permet d’« économiser les mouvements mais demande une grande précision. »
Ce nouvel album est conçu comme une œuvre globale reliant passé, présent et futur entre ces deux compositeurs séparés de deux siècles. Ses dix-huit morceaux alternent presque toujours un morceau d’un compositeur avec celui de l’autre avec un regroupement en blocs thématiques en fonction de l’évocation (la nature florale pour les titres 3 à 5), de la tonalité/couleur du phrasé, et de la rapidité du doigt posé. Démarrant dans une véritable gaieté (L’Étincelante de Couperin) et s’achevant dans un élan de folie (L’Isle joyeuse de Debussy), le rythme varie, entre-temps, entre la douce mélancolie de La Flore (Couperin) et le vagabondage de l’oreille et de l’esprit sur le piano (Les Collines d’Anacapri, Debussy). Il est ainsi confirmé que les mouvements ondulatoires se ressentent sans se voir dans la musique, et qu’Amandine cherche à « rendre l’invisible visible et dévoiler l’ombre dans la lumière. » Les Ondes se trouvent également cachées dans la nature, où elles se manifestent par des bruissements de feuilles, ou encore des mouvements de vagues, de cours d’eau.
Légèreté, poésie, et couleurs mènent ainsi l’auditeur par le bout de l’oreille tout au long de l’écoute des Ondes.
Guillaume Arias
Dans les bacs : Les Ondes (Arts et Musiques en Provence/Melism Records).
Rens. : www.artsetmusiques.com / www.amandinehabib.com
En concert le 25/01/2020 à la Maison des Arts de Cabriès.