Identités remarquables : Amine Edge
Boyz’n the House
Déjà plébiscités par bon nombre de DJs d’envergure internationale, Amine Edge & DANCE sont l’une des prochaines sensations house de 2012. Truc de ouf : ils sont de Marseille. Pistons-les sur le dancefloor avant qu’ils ne s’échappent.
Cela arrive assez rarement à Marseille : un musicien apparaît, et très vite, on sait qu’il va se passer un truc. Dans cette ville qui s’est essentiellement singularisée dans les registres du reggae, du folklore traditionnel et (surtout) du hip-hop, il est attendu de voir éclore ici et là, au gré des saisons, quelque manifestation de ce patchwork de couleurs qui la caractérise. Moins, en revanche, de voir débouler quelqu’un qui pourrait bien redéfinir, dans les prochains mois, la bande-son de vos virées en clubs. Et pas seulement dans le centre-ville, mais partout sur la planète… Or donc, l’an passé, un ami nous fait état d’un jeune Marseillais qui produit de la house. Vous savez, cette musique que certains assimilent naïvement à des clichés comme Ibiza, Macumba, Wonderbra, ou pire encore, David Guetta. Jusque-là, rien d’extraordinaire. Et puis on écoute ce que ce garçon définit lui-même comme de la « G-House » (pour « Gangsta House », en référence à la vague « G-funk » définissant le son de Snoop Dogg et Dr Dre au début des 90’s). Mince : c’est fresh. Ça sonne comme une rencontre entre le Chicago d’hier et le Berlin d’aujourd’hui. Ça groove, ça claque, ça suinte le sexe et le bitume. Et il vient d’où ce gangster en goguette, survêt’ et casquette ? Des quartiers Nord. Il est rebeu. Et il n’est plus seul, puisqu’ils sont deux.
MARSEILLE IS IN THE HOUSE
Depuis quelques semaines, les DJs house les plus cotés du moment font tourner un morceau signé Amine Edge & DANCE : ça s’appelle Going to Heaven with the Goodie-Goodies, et partout où ça passe, les dancefloors trépassent. La formule a l’air toute simple, mais comme les mélomanes le savent, c’est ce qu’il y a de plus difficile à faire tenir debout : un vocal hip-hop samplé ad libitum, un motif arabisant, des breaks rythmiques montés en crescendo, et soudain, une monstrueuse ligne de basse qui vient s’écraser dans vos tympans. Pour ne plus en sortir. Ce hit instantané s’apprête à sortir officiellement sur 2DIY4, subdivision du label de Solomun (producteur et Dj teuton que l’on s’arrache depuis deux ou trois ans). Il est « playlisté » par Jamie Jones, Maceo Plex, Laurent Garnier ou Carl Cox, autant de gens connus et d’autres que vous connaissez moins, mais qui forment une « internationale de la dance music » dans ce qu’elle a de plus pointu. Et donc, il est l’œuvre de deux mecs issus des quartiers Nord, qui viennent subitement de placer Marseille au centre de la cartographie house… Subitement ? Pas tout à fait. Amine Edge & DANCE ont chacun une expérience musicale d’au moins une décennie. A l’origine du tandem, il y a Amine, que l’on rencontre un soir de virée sur le cours d’Estienne d’Orves. Le mec est avenant, brillant mais accessible, avec un sourire franc et un sens de la répartie qui font mouche. Dans le milieu chic et toc de la night, c’est suffisamment rare pour être souligné. Il a un look de b-boy mais vient clairement des musiques électroniques : house « garage », IDM, techno, ambient… Amine s’est très tôt intéressé à tout. On lui donne la parole, il la prend avec humour : « J’ai eu la chance d’être arabe, donc d’hériter à la maison d’une antenne parabolique comme tout Arabe qui se respecte… Dans ma dixième année, quand mes parents allaient se coucher, je me faufilais dans le salon pour regarder des clips et des émissions sur la musique électronique. J’ai fait en grande partie mon éducation musicale grâce à une chaîne allemande. » Il commence donc par accumuler des vinyles, s’achète rapidement des platines, et se met petit à petit à la production en se faisant la main sur des « edits » et des « bootlegs » (techniques de travail à partir d’un matériau existant). Remarqué, il fait bientôt ses premières dates dans des bars (Cactus Café, Bar des Pêcheurs) puis des boîtes locales (Crazy, Bazar). Son premier maxi sort en 2007. Depuis, il n’arrête plus : les sorties s’accumulent sur une multitude de labels underground, et il enchaîne aujourd’hui entre dix et vingt dates par mois, en France comme à l’étranger. Mais la grande surprise dans son parcours, c’est la décision de partager son aventure avec son pote Laurent, alias DANCE.
SESSIONS SKYPE
Contrairement à ce que son pseudo laisse croire, DANCE est un producteur issu du hip-hop. Lui non plus n’a pas la trentaine, et à en juger par ses échanges de mails avec son compère, il partage le même sens de la vanne tranchante… Amine : « Il est comme mon frère. A la base, il est compositeur pour des rappeurs, mais a toujours été très ouvert musicalement. Il a aimé ce que je faisais, s’est essayé à la house… et il m’a bluffé ! Akhenaton dit de lui que c’est un génie. Désormais, on fait tout ensemble, même si on travaille chacun dans nos studios respectifs car on ne sait pas bosser avec quelqu’un à côté… On s’envoie les sessions de part et d’autre via Skype, et ça fonctionne très bien comme ca. » DANCE a en effet commencé par faire des sons pour des artistes hip-hop phocéens (Soprano, Carpe Diem…) et, parce que talentueux, en est aujourd’hui à travailler avec des poids lourds du calibre de Booba, Sexion d’Assaut et Psy4 de la Rime. Il avoue de son côté s’amuser beaucoup avec Amine depuis que celui-ci l’a initié à la house, « parce qu’on n’a pas l’impression de travailler. » Cette fructueuse collaboration a le mérite de souligner trois choses : 1/ C’est dans la confrontation que la musique peut continuer à avancer, à une époque où tout semble avoir été dit, pillé, partagé online. Ce n’est pas nouveau, mais essentiel à retenir pour les générations à venir, qui vont trouver avec l’outil digital les moyens d’ambitions neuves. 2/ Les gamins qui ont grandi dans les 90’s arrivent aujourd’hui artistiquement à maturité. Plutôt que du rock laissé pour mort, ils ont écouté de la dance, du hip-hop et du R’n’B. Bilan des courses : on retrouve cette empreinte « nostalgique » dans ce qu’ils créent aujourd’hui. 3/ Cette génération d’enfants d’immigrés en France s’est exprimée à travers le hip-hop, et sortait dans des boîtes funk lorsqu’elle avait la chance qu’on lui en ouvre les portes. Vingt ans plus tard, la génération actuelle s’exprime toujours avec le hip-hop, mais aussi avec d’autres médiums, parce qu’elle s’est totalement assimilée.
UN PEU D’IMAGINATION
Evidemment, Going to Heaven with the Goodie-Goodies est un peu l’arbre qui cache la forêt. Ensemble, les deux producteurs ont composé une tripotée de morceaux, dont certains s’apprêtent à être publiés sur des labels indé qui comptent (Hot Creations, Southern Fried, Runnin’ Wild, Ellum Audio…). La palme revient à la structure berlinoise Get Physical, référence du genre, pour laquelle ils sortiront prochainement leur premier album. Bref, la « G-House » d’Amine Edge & DANCE, partie intégrante d’une lame de fond qui caractérise la house de 2012, a de beaux jours devant elle… « Il fallait lui trouver un nom et je trouve que ça lui va bien, à mi-chemin entre la ghetto-house de la fin 80’s et le hip-hop du début 90’s. A l’époque de Jazzy Jeff et des Jungle Brothers, la house et le hip-hop étaient liés : on est juste revenu à un truc qui existait déjà, en y ajoutant de grosses basses funk à la Imagination. Avec des vocaux hip-hop ou R’n’B, la recette fonctionne grave ! » Et si le futur de la house n’était pas juste une illusion, mais une réalité enfantée ici ?
PLX
Amine Edge : en mix le 21 à Aix-en-Provence (place Paul Ferréol) pour la Fête de la Musique
Rens. http://soundcloud.com/amine-edge