Identités remarquables – Christian Sciara alias Déci
Déci maître
Dans l’ombre de son atelier, Christian Sciara alias Déci fabrique de drôles d’instruments de musique. Rencontre avec un passionné d’électronique primaire et ludique.
La musique, il y a ceux qui en jouent, et ceux qui permettent d’en jouer. Entre le musicien et le fabricant d’instruments, le partage paraît simple. Si le luthier et le facteur (1) occupent une place importante dans l’histoire des musiques instrumentales classiques, on pourrait penser que l’ère électronique a uniformisé les modes de production musicale au point de pouvoir se passer du savoir-faire manuel et artisanal. Pourtant, bien loin de la sainte trinité actuelle clavier/sampler/séquenceur, certains artisans géniaux offrent une réelle alternative en termes d’outils de création. A Marseille, depuis plusieurs années, dans un anonymat certes confortable mais peu en phase avec son réel talent, Déci fabrique chez lui et au compte-goutte quelques instruments et accessoires très prisés des musiciens locaux. « A la suite d’une panne, j’ai dû réparer un amplificateur. Je me suis aperçu que c’était en fait assez simple et que je pouvais moi aussi en fabriquer un. » Parfaitement autodidacte, Déci accouche, neuf essais plus tard, de son premier ampli. Suivront alors des enceintes, des boîtiers de commande (2), des pédales d’effet, des claviers analogiques, tous conçus pour ses amis musiciens, au premier rang desquels figurent Quartiers Nord (avec qui il collabore depuis 1979). « Je n’ai suivi aucune formation d’électronique ou d’ingénieur du son, mais dans la famille on est bricoleurs. Mon père a déposé plusieurs brevets au cours de sa vie dont un très simple qui est encore très utile aujourd’hui pour le déchargement des containers. Notre maison a toujours été jonchée de câbles, de boîtes, de fils… » Le coup de maître de Déci interviendra peu après ses premières inventions : « Un jour, je suis tombé sur une vidéo d’un live de Led Zeppelin, avec ce fameux morceau Whole Lotta Love que j’adore et qui possède ce son si particulier. Le son provenait en fait d’un petit boîtier avec une antenne ; j’ai appris par la suite que c’était un theremin (3) … » La suite est facile à deviner lorsqu’on connaît la nature curieuse et passionnée de Déci. Quelques renseignements glanés ici et là lui suffisent pour faire ses premières tentatives. Le public du festival Prog’Sud en 2004 sera le premier à profiter de l’imagination débordante de notre MacGyver marseillais. « J’étais sur la scène, avec beaucoup de son devant et derrière moi. J’ai approché mes mains de l’antenne, le son devenait dense, il tournait, inondait littéralement la salle. Le public ne comprenait pas d’où ça venait, mais il avait l’air ravi ! Physiquement, la sensation est assez folle : tu as l’impression que le son te fait vibrer, qu’il te pousse ! » Malgré son pointillisme scientifique, Déci n’en oublie pas pour autant son lyrisme méridional… Cette chaleur tranche agréablement avec la froideur habituelle de bien des expérimentateurs en musique concrète et contemporaine. D’ailleurs, le côté « savant » des musiques de recherche, Déci n’en a cure ; ce qui compte pour lui, c’est l’émotion, l’humain : « Je reste en contact avec tous les musiciens à qui j’ai vendu du matériel. J’aime savoir ce qu’ils deviennent, comment ils utilisent l’instrument. » Il ne tardera certainement pas à avoir des nouvelles de ses derniers acquéreurs — les groupes marseillais Ing et Swim — qui devraient très vite intégrer le son spatial du theremin à leurs prochaines productions. Si vous avez raté les démonstrations de Déci avec ses drôles d’instruments lors du festival de micro-music MAIN Demoparty organisé le mois dernier à l’Espace Julien, vous aurez droit à une séance de rattrapage à l’occasion des Inovendables (voir ci-contre). Pour finir, sachez que Déci n’en a pas fini pour autant ses recherches ; ses derniers travaux ont donné naissance à « un theremin qui contrôle à la fois le son et la lumière. » Bricoleur de génie, parleur intarissable, musicien amateur, Déci semble vivre plusieurs vies en une. Son seul regret : « Je suis célibataire ! Je sais que ça n’a rien à voir avec la musique… Mais tu peux l’écrire dans ton article, on ne sait jamais, ça pourra toujours intéresser une lectrice du journal… »
Texte et photo : nas/im
Retrouvez Déci et son theremin en direct sur Radio Grenouille (88.8 FM) dans Slack System le jeudi 20 de 20h à 21h
Les Inovendables
Derrière ce nom étrange, contraction des mots « innovation » et « invendable », se cache une rencontre originale, à la croisée de la lutherie moderne et de la création musicale. Organisé par Leda Atomica Musique, ce festival réunira plusieurs inventeurs d’objets sonores inédits, qui ne se contenteront pas seulement d’exposer leurs surprenantes trouvailles mais joueront aussi des œuvres de leur création. On pourra y croiser Jérôme Désigaud, un drôle de « bruicoleur » qui s’intéresse aux instruments très anciens, Jacques Dudon et sa musique spectrale, la percussionniste australienne Naomi Jean O’Sullivan spécialisée en « body percussion », l’acousticien hollandais Robert Rossignol et son piano de verre, le collectif des Sauvages Organismes Sonores qui utilise notamment les structures sonores Baschet, Pierre Gordeff qui crée uniquement à partir d’objets de récupération, ainsi que bien d’autres expérimentateurs sonores… Outre les concerts, plusieurs ateliers de démonstration et d’initiation à ces nouvelles pratiques sont prévus. Avant-gardiste et ludique, savante et accessible, la musique ici se décomplexe pour revenir à ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un jeu.
Les Inovendables, du 21/11au 07/12 à Léda Atomica Musiques (61/63 rue St-Pierre, 5e).
Rens : 04 96 12 09 80 / ledatomica.mus.free.fr
- Le luthier confectionne des instruments portables à cordes (guitare, violon…), le facteur fabrique des instruments ayant un clavier (orgue, piano…).[↩]
- Commande à distance de volume (VCA) qu’utilise sur scène Massilia Sound System depuis 1993.[↩]
- Inventé en 1917 par Léon Theremin, c’est le premier instrument de musique électronique. On en joue sans le toucher, il suffit de bouger les mains dans un champ électromagnétique émis par deux antennes pour faire varier la hauteur du son.[↩]