Identités Remarquables | Christophe Haleb
Après dix ans de travail à Paris et des études de danse à New York, Christophe Haleb pose ses valises à Marseille en 2002 avec sa compagnie La Zouze. Le chorégraphe monte alors plusieurs projets transdisciplinaires et innove avec son laboratoire de créations Dans Les Parages. Son dernier travail, Retour sur Terre, était programmé au Festiv’Anges à Klap. L’occasion d’une rencontre.
Pieds nus ancrés sur les planches de la scène de Klap, Christophe Haleb donne les dernières indications à son danseur. D’un geste précis, le chorégraphe caresse sa barbe, réfléchit, et scrute le plateau. Ses yeux bleus, affûtés par des années d’expérience, se posent sur la scène : « C’est mieux, non ? » Tout est prêt pour la représentation de ce soir, son travail est presque terminé. Mais, à l’approche du spectacle, comme tout artiste passionné, Christophe s’active pour régler les derniers détails.
Arrivé à Marseille à l’âge de seize ans, ce passionné de danse est resté très attaché à la ville qu’il décrit comme son point d’ancrage. « Marseille est la ville la plus authentique et la plus étrangère de France. C’est un lieu de contraste, de lumière et de chaos, propice à la créativité », résume-t-il d’une voix douce. Mais dans sa jeunesse, Christophe a rapidement eu envie d’ailleurs. Ses études de danse, il les fera dans la mythique capitale culturelle des Etats-Unis. A cette époque, c’est toute la mythologie urbaine de New York qui s’offre à lui. « Une expérience humaine incroyable », lance-t-il les yeux dans le vague, une main posée sur la tempe. D’un même ton, doux et poétique, il évoque son retour en France qui coïncide avec le mouvement de la nouvelle danse française, en essor dans les années 1980. Inspiré par son expérience américaine, le jeune chorégraphe s’installe alors à Paris. Il travaillera dans la capitale jusqu’en 2002.
Chorégraphe engagé
Plus qu’un travail, la danse est pour lui une véritable raison de vivre, une arme même, et un argument politique. « La danse, ça sert d’abord à ouvrir des espaces, mentaux, relationnels, esthétiques… Aujourd’hui, la difficulté est d’inventer de nouvelles formes esthétiques, comme il est difficile d’inventer de nouvelles formes politiques. La danse, c’est aussi de la politique, elle permet d’inventer de nouvelles modalités d’être ensemble. » Engagé dans son art comme dans la vie, il pense le monde qui l’entoure par le prisme de l’art. Pour lui, la politique devrait s’inspirer des gestes de la danse afin de mettre la société en mouvement. La main posé sur sa barbe grisonnante, le regard ailleurs, celui de l’homme expérimenté qui s’est forgé son propre regard sur le monde, Christophe commente ce qui l’entoure. La mondialisation, l’exil, l’adolescence, les troubles et la quête de soi sont autant de sujets qui le préoccupent, le touchent et l’inspirent. Loin de l’image de l’artiste coupé des réalités, le chorégraphe s’approche du réel, le touche et l’expérimente afin de mieux le travailler. Son regard est singulier. La mondialisation, il la pense en termes de mouvements, de corps engagés dans le monde. Ce qui l’intéresse, c’est le rapport à l’autre, l’échange avec ce qu’on ne connaît pas.
Un intérêt qui a influencé de nombreux projets artistiques, notamment dans le domaine de la santé. Pendant de nombreuses années, à Uzès et Aix-en-Provence, Christophe a travaillé en résidence dans un hôpital psychiatrique. Plus que du rapport à l’autre, il s’est intéressé à la porosité entre le domaine de l’art et celui de la santé. Selon lui, « l’art reste tout de même central, c’est une modalité d’expression et de déstygmatisation de l’individu. » Dans la vulnérabilité et la marginalisation, Christophe voit de la poésie : « Quand un être est touché, altéré, le geste est banal mais une virtuosité naît de ce quotidien. » Un travail qu’il continue toutes les semaines à l’hôpital Salvador de Marseille…
Et des horizons différents, Christophe Haleb en a explorés. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il crée La Zouze, en 1993, une compagnie où l’écriture est transdisciplinaire et le travail collectif. « La danse est un art invitant, on travaille avec des scénographes, des musiciens, des plasticiens ; l’objectif, c’est de travailler ensemble », souligne le chorégraphe. Un travail collaboratif que Christophe poursuit à travers le monde, notamment sur le continent latino-américain. Depuis 2010, dans le cadre de son laboratoire de création Dans les Parages, le chorégraphe marseillais mène de nombreux travaux collaboratifs, notamment à Cuba. Parmi ces projets, Entropic relie la ville de Marseille à La Havane et Fort-de-France, trois villes postcoloniales, autour d’un thème commun. « La question de départ, c’est l’adolescent et son rapport à l’espace public, mais aussi sa place dans la structure familiale », explique Christophe. Prévu jusqu’en 2019, le projet se structure autour de temps de résidence dans les trois villes. Une année qui sera également le point de départ d’un projet cinématographique sur la prostitution masculine à Cuba. Car c’est surtout ça, la vie de Christophe Haleb : des projets différents, transdisciplinaires qui se cristallisent autour de son amour de la danse. Son regard particulier sur le monde, il le met au service de son engagement, il s’en sert pour créer, partager et révéler la part de poésie contenue dans le quotidien.
Camille Astruc