Identités Remarquables | Clément Vignes

Identités Remarquables | Clément Vignes

Électro(n) libre

 

Où l’on se glisse dans la peau d’un organisateur de soirées avec Clément Vignes, qui entend promouvoir la musique électronique et cherche à surprendre.

 

Quand on parle de la scène électronique marseillaise, on pense d’abord aux DJs locaux qui officient aux platines. Tout est prétexte à l’écoute de galettes musicales. Chaque style, chaque lieu peut avoir son public, de la musique la plus commerciale à la plus pointue. Mais se cantonner à braquer les projecteurs sur l’artiste qui manipule les vinyles ou les mp3 peut s’avérer bien réducteur tant une véritable filière se trouve d’amont en aval, du compositeur à l’exploitant de lieu.

Clément Vignes, des Jardins Suspendus, fait partie de cette famille de professionnels sans qui nous n’aurions pas la chance de nous déhancher sur de la house de derrière les fagots dans la cité phocéenne. Face à la motivation et à l’énergie qu’il déploie, il était largement temps de nous pencher sur son parcours et sur l’actualité des Jardins Suspendus.

 

De la house…

Tout commence en 1987, aux Caillols, où Clément naît dans une famille tout à fait classique, bien loin des quartiers bourgeois des huitième et neuvième arrondissements. Cette année-là, on peut entendre Francis Lalanne avec On se retrouvera, ou Licence IV avec Viens boire un p’tit coup à la maison, tous deux numéro 1 au Top 50 de la chanson française (les oreilles sensibles nous excuseront), mais c’est aussi l’année de sortie du premier titre d’acid house directement venu de Chicago, du moins celui qui donnera son nom au style, Acid Trax de Phuture. Un signe ? Probablement, quand on connaît la suite.

Quelques années plus tard et un Bac +5 en poche avec une spécialisation Stratégie / Marketing, pour « rentrer dans le moule et se préparer à chercher du travail à Paris », Clément se retrouve à travailler dans les nouvelles technologies « à la Capitale ». Nous sommes en 2012 et Clément a quelques problèmes avec l’autorité patronale qui le poussent vers une porte de sortie marseillaise. Le jeune homme a envie de se tourner vers un travail pour lequel il serait directement aux manettes, qui lui permettrait quand même d’utiliser ses études tout en servant sa passion pour la musique électronique. À cette époque, les aficionados de la nouvelle scène électronique pleine de nappes vont dans une boîte de nuit spécialisée, le Spartacus à Plan-de-Campagne. Clément y découvre une flopée d’artistes souvent révélés par le Border Community de New York.

Nous sommes en 2012 et l’on peut écouter A Break In the Clouds de James Holden, Das Gezabel de Paul Kalkbrenner ou Azure de Slam. Le minimalisme de cette house tend clairement du côté germanique à un moment où « l’on crée la musique électronique en fonction des possibilités immenses que nous offre l’informatique ; des contrôleurs aux logiciels. » Fini le temps de la création sous contrainte avec boîtes à rythme et synthétiseurs. Enlevons la soul de l’électro, « pour un son plus synthétique et moins organique ». La tech house peut sortir du bois. Et Clément s’y adonner en tant que Dj amateur. Berlin lui tend les bras, mais la malchance d’une colocation perdue le maintient à Paris. Tant mieux, finalement, puisque cela lui permet d’organiser ses premières soirées au Cabaret Sauvage avec une première date mémorable : le 26 janvier 2013. C’est à l’esbroufe, à base d’un CV enjolivé et de conseils d’amis producteurs marseillais qu’il obtient la location du lieu pour la soirée. Résultat : 1 300 personnes et un lieu complet. « Le kiff total ! » Les soirées s’enchaînent alors, programmées depuis Marseille. Clément profite d’artistes comme Spencer Parker, qui font de l’électro de Detroit matinée de house chicagoane, le tout à la sauce européenne. Le groove s’invite à la table et pousse quelque peu le minimal. Le label parisien Concrete débarque et fait les joies des soirées du Rex.

 

… à la maison

Travailler pour Paris, c’est bien, mais le faire pour chez soi, c’est mieux. Le printemps 2013 marque le début des premières soirées organisées par Clément et son acolyte Thibault Sevestre. Le duo se fait remarquer au point d’obtenir l’organisation des soirées de leurs Jardins Suspendus sur le toit des Terrasses du Port (le Rooftop) à partir de juin 2014. Ce sera un dimanche sur deux, pour commencer, avec cette fois une priorité donnée aux vinyles. Clément est en effet devenu un dénicheur/défricheur de disques, un digger de vinyles qu’il mixe, et il se tourne de plus en plus vers de la house bien groovy, voire percussive, représentée par Joe Claussel ou Kerry Chandler. Avec les moyens du bord, cette année-là, les Jardins Suspendus accueillent plutôt des artistes locaux comme Dj Oil, ou parisiens comme Point G. Mais ces évènements flirtent rapidement avec les 2000 personnes en piste ou au bar. Il est alors temps de se faire plaisir et d’inviter ceux que l’on admire à titre personnel comme Phil Weeks, « le fils caché de DJ Sneak », ou Chris Carrier. Le démarrage est très fort et la tentation de rester sur ses acquis, grande.

Lorsque le groupe Noctis récupère la concession du Rooftop en 2015, de nouveaux moyens sont donnés et les artistes plus bankables peuvent être sollicités. Ron Trent, Danny Krivit, Omar Es, Dos Hermanos ou Laurent Garnier se succèdent ainsi aux platines. Mais Noctis veut générer plus de chiffre d’affaires et multiplie tables et coins VIP. L’indépendance de Clément prend le dessus et le contrat avec le groupe parisien est rompu en 2016. Mais, comme le veut le dicton, « Un de perdu, dix de retrouvés ». Les Jardins Suspendus remontent les branches d’autres arbres marseillais dès 2017. Place au projet Spiral Deluxe de Jeff Mills, à Octave One ou encore au Motor City Drum Ensemble. La programmation s’oriente peu à peu sur la recherche de lieux inédits et des choix artistiques innovants. Pourquoi ne pas organiser une soirée dans une banque rue de la République, dans un bistro/cave à vin (Les Buvards) ou dans un musée (les Nuits Vernies au Mucem) ? L’objectif devient de trouver des lieux, inimaginables a priori pour une soirée musicale, dans l’esprit de Die Nacht à Paris, tout en s’ouvrant à d’autres genres musicaux et en mettant en avant des artistes en devenir.

Ainsi, en 2018, après avoir investi pendant l’été un gréement en activité, le Don du Vent, c’est à l’Union Nautique de Marseille (UNM) que l’on pourra retrouver les Jardins Suspendus avec les soirées Panorama, qui débutent le 17 novembre avec Paul Cut et Chevals, suivies d’une mensuelle jusqu’en avril 2019. Clément nous promet que le public « ne se fera pas massacrer par une politique tarifaire indécente car [il] sait ce que c’est que de n’acheter que des pâtes. » Au menu, des musiciens souvent inédits à Marseille, de Shadi Kries à Armless Kids, des styles oscillant entre hip-hop et électro, des petits plats préparés par un chef marseillais et une décoratrice attitrée (Miss Mu). Que demande le peuple ? D’autres projets alléchants peut-être ? Dans un ancien restaurant, des loges, un théâtre en plein air ? Qui sait ? Mais ça, c’est autre histoire… que l’on a hâte de connaître.

 

Guillaume Arias

 

Lancement des soirées Panorama avec Paul Cuts et Chevals : le 17/11 à l’Union Nautique Marseillaise (34 Boulevard Charles Livon, 7e).

Rens. : www.facebook.com/lesjardins/

 


 

Sa vision de la scène électro marseillaise

La scène techno est très vivace avec des artistes comme le collectif Métaphore et des lieux comme le Cabaret Aléatoire ou le Baby par exemple. Ces soirées drainent un public plutôt jeune et homogène me semble-t-il. Mais pour dix soirées techno, il y a une soirée house. Nous avons donc moins l’occasion de (re)découvrir ce genre musical. Pour attirer le public, la recette est pourtant simple : un lieu sympa, un bon sound system, du contenu et une belle communication sans pour autant se battre pour des causes perdues et proposer la même tonalité musicale dix soirs d’affilée. Un autre phénomène n’arrange pas la démocratisation de la house. Certains DJs qui officiaient dans ce genre, comme Paul Virgo ou Sébastien Bromberger, se tournent vers une autre branche : la nu disco. La Dame Noir en a fait d’ailleurs son cheval de bataille. Finalement, chacun est un peu dans son coin, avec son collectif et son réseau. Ce sont plutôt ceux qui font de l’évènementiel éphémère, comme les Jardins Suspendus, Borderline (Christian Mellon) ou Watsa (Benjamin Aguad et J.C. Pieri), qui collaborent entre eux.

 

La semaine (calme) type de Clément

10h-11h : Ouverture de boîte mail avec suspense quant aux réponses des lieux de diffusion approchés pour des évènements.

11h-12h : prise de rendez-vous et rendez-vous pour visiter des lieux potentiels ou programmés.

12h-14h : repas à la maison ou en extérieur selon ce qui est prévu dans l’après-midi.

14h-19h : Écoute de musique, de propositions d’agents, lecture de mails, messages facebook, travail administratif pour les Jardins Suspendus.

19h-20h : Cuisine maison faite par Clément

Au-delà : écoute de musique, visionnage de séries TV, films, dodo. Mais peu de sorties (dit avec un certain regret et un regard perdu vers l’horizon).

 

En cas de semaine plus animée, comme l’été par exemple : un événement par semaine avec à la clé trois à cinq jours de travail, pendant lesquels Clément et Thibault mettent physiquement la main à la patte ; d’où le besoin d’une préparation physique (un peu de boxe par-ci et de kinésithérapie par-là). Plus généralement, l’hiver est consacré à la stratégie, l’administratif, et l’été à l’exploitation.