Identités Remarquables | Donarra
Électro libre
« Si je n’avais pas fait de la musique, j’aurais voulu être galeriste. » S’il avait choisi ses toiles comme il crée ses sons, une galerie métaphorique aurait pu voir le jour à Marseille. Donarra fabrique de la musique électronique rythmée par une kyrielle d’émotions souvent très intimistes, parfois névrotiques, ce qui lui confère un style froid et sombre mais toujours sur fond de groove. Renversant.
Le fruit du hasard a fait que nous nous étions déjà rencontrés l’année dernière dans les loges du Cabaret Aléatoire, lorsqu’il honorait la première partie de Fatima Yamaha. Nous avions papoté assez longuement. Il était tard. Profils Facebook échangés, quelques mots sporadiquement tapotés par message privé pour garder un lien. Voilà qu’aujourd’hui, on a rendez-vous avec Donarra pour lui « administrer » une interview. Ici, nous le nommerons Loïc, de son vrai nom. T-Shirt MotorHead noir, jean noir, baskets noires, casquette noire. Et un sourire timide qui défie toute concurrence.
Loïc est un minot du pays : Marseille/Brignole/Aix-en-Provence, c’est son territoire. Un terrain de jeu, d’apprentissage et de création. Ses seize ans en poche, le voilà qui débarque à Tourves pour découvrir le festival La Nuit Rouge. Il en aime la musique, le cadre et l’atmosphère. Idées mélodiques en tête, tel un désir insupportable de transmettre sa vision des choses, il prend goût à la fabrication de musiques électroniques. « Très vite, on ne sort plus, on geeke toute la journée, à fond sur ses sons. »
Éternel insatisfait, il trouvera tout de même une méthode pour tatouer le mot fin sur ses créations sonores. En ne s’attardant pas trop. En passant à autre chose rapidement. Sinon, c’est un puits sans fond.
Sa vie se résume principalement à son studio d’enregistrement, dans lequel il passe beaucoup de temps en semaine. Son lieu de vie et son lieu de travail ne font qu’un. « Pratique, précise-t-il. L’inspiration, ça te prend, on peut la titiller, mais c’est mieux de suivre son instinct. » Au saut du lit, le pied à peine posé par terre, il ne pense qu’à ça. La musique. Faire de la musique. Emploi du temps en tête réfléchi la nuit durant, il exulte ses envies irrésistibles de faire du son, à sa guise. Excepté les jours (ou les nuits) de fête. Car Loïc est un fêtard, et fier de l’être. Le week-end, c’est sacré, « Do Not Disturb » : en roue libre, direction le Méta ou la Friche pour rejoindre ses fidèles comparses du Metaphore Collectif, une bande de génie des musiques électroniques underground.
Loïc a deux facettes, à la fois opposées et complémentaires. Sa musique est à son image : 29 ans et déjà quatre projets solo à son actif (eee, Elysée, Donarra et Cardinal and Nun), tous répondant à une évolution certaine faisant écho à sa maturité grandissante. Son projet actuel, Donarra, porte un son résolument new wave, « lo-fi », précise-t-il, terme utilisé dans les années 80 aux États-Unis pour définir un son « sale » et enregistré de façon primitive.
À ce propos, ça signifie quoi, Donarra ? Un pseudo inventé de toutes pièces en jouant avec des mots, en cherchant surtout des syllabes à consonance féminine. Histoire de créer un petit trouble, d’interpeler… Un brin perturbateur, Loïc ? Oui, répond-il, avec un je-ne-sais-quoi de mutin dans les yeux.
Aujourd’hui, un nouveau scénario musical l’anime : Cardinal and Nun. Ses études à la fac d’arts plastiques à Aix-en-Provence lui ont ouvert l’esprit, l’ont nourri pleinement et, tout en gardant l’énergie pour perdurer dans la musique, cette pratique artistique n’a cessé d’être présente jusqu’à maintenant. C’est donc tout naturellement qu’en référence au tableau d’Egon Schiele est né Cardinal and Nun (Cardinal et Nonne). « Un projet musical davantage torturé, froid et inquiétant. » Pourquoi donc s’attacher au côté sombre de la Force ? Les années 80 le fascinent, musicalement parlant. Joy Division et The Cure, voilà d’où proviennent ses inspirations et d’où sortent ses aspirations. Bien que trop jeune pour avoir connu cette époque, ça lui colle à la peau. Surprise, ressortez donc vos vieux lecteurs, en plus d’une sortie vinyle, il prévoit une sortie K7, comme à l’époque !
Désormais, il jonglera habilement avec ces deux identités distinctes.
Vous aurez peut être la chance de partager un verre avec Donarra si vous venez à la Friche le samedi 2 juin ; il y joue dans le cadre du festival Le Bon : Air. Toujours un peu stressé avant de se produire (il veut donner le maximum), dès qu’il commence son live, il se met à danser, à capter des regards, de sourires et… « Partager le whisky » !
Trêve de taquinerie. Loïc, Donarra, peu importe son nom, aime aller à la rencontre des gens et fait attention aux autres. De l’altruisme à l’état pur.
Preuve en est, son rêve d’adulte au parfum de madeleine vanillée et au goût de chocolat en poudre est une ode à la tendresse : « Mes amis et moi, qu’on soit bien ensemble, jusqu’à la fin. » Garder son âme d’enfant en toute circonstance, tel est peut-être le secret de sa musique.
Cerise Steiner
Le 2/06 au festival Le Bon : Air à la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).
Rens. : www.facebook.com/donarramusic / soundcloud.com/donarra