Identités Remarquables | Étienne Rey
Rey de lumière
Le week-end Made in Friche dédié aux machines a permis de (re)découvrir le travail d’Etienne Rey, résident à la Friche dans le joliment nommé Laboratoire des Ondes parallèles, à travers son installation Space Odyssey. L’occasion de se pencher sur la pratique de ce constructeur d’espaces qui cherche à donner toujours plus à voir, tout en menant une réflexion poussée sur les matériaux.
L’artiste marseillais d’une quarantaine d’années, à l’allure nonchalante et souriante, travaille depuis une dizaine d’années sur la question, si chère à l’art moderne, de l’espace et de la perception que l’on s’en fait.
Même si cette notion est par nature inhérente à la question de la représentation, on constate un resserrement autour de cette interrogation dans les années 50, avec le minimalisme, qui prône un art littéral et se référant à sa seule matérialité. Plus tard, l’art cinétique et l’Op Art s’aventurent sur ce même terrain, mais en se mettant à jouer de cette perception et des lois optiques qui la régissent. Par la suite, de nouvelles formes de construction d’espaces comme déconstruits apparaissent, comme le brouillard d’Ann Veronica Jannsens ou les environnements météorologiques d’Olafur Eliason. Il s’agit toujours d’œuvres basées sur l’expérimentation directe, qui nécessitent un investissement corporel total. Ces œuvres peuvent en appeler à la contemplation active, sur une certaine durée, ou peuvent, dans un mouvement extrême, miser sur la déstabilisation complète du spectateur.
C’est dans cette continuité que se positionne la démarche d’Etienne Rey, qui construit des espaces comme flous, où quelques éléments assez simples (miroir, lumière, brume, son…), nourris par l’interaction du public, engendrent un réel trouble de l’espace. S’il y a quelque chose de minimaliste dans la simplicité de la scénographie, l’effet produit par la rencontre des éléments de l’œuvre avec les corps physiques des spectateurs engendre sans cesse d’autres formes visuelles ayant quelque chose d’hypnotique. L’œuvre ne se livre donc, et encore que partiellement, que dans une confrontation dans la durée.
Une de ses premières installations, Delay, en 2009, présentait un dispositif mêlant de l’eau, de l’air et un système électronique de son et de lumière, le tout générant des mouvements vibratoires multi-sensoriels. Par la suite, le plasticien se tournera vers le matériau du miroir, déclinant toute une série d’installations dont les Diffractions, pour la plupart in situ. Des matières réfléchissantes y déconstruisent l’espace, de par la mobilité de la multitudes des éléments miroitants et les reflets des spectateurs autour. Elles prennent tantôt la forme d’un vortex, tantôt celle d’une constellation… Celle réalisée à Seconde Nature en 2010 (en collaboration avec Mathias Delplanques), Spectre Audiographique, atteste d’un intérêt pour les phénomènes physiques puisque le volume de la pièce est celui d’un son de sept secondes. C’est aussi très sensible avec Attraction, en 2011, qui simule un modèle d’attraction gravitationnelle.
Dès le départ, la question de la présence du corps du spectateur dans la modélisation de l’œuvre apparaît comme cruciale. Par cette dimension qui fait que le corps du spectateur est l’un des matériaux de l’installation, les œuvres prennent donc une forme sans cesse renouvelée, déclinable à l’infini… Tout comme le choix épuré de la scénographie et l’absence apparente de discours symboliste facilitent d’autant plus l’appropriation de l’œuvre.
Avec l’installation Immatériel, la pratique de l’artiste prend un autre tournant. Comme pour Delay, les œuvres sont composées d’un système informatique qui permet la mise en place d’un espace généré automatiquement, et également modelé par les corps des spectateurs. Tropiques et par la suite Space Odyssey reprennent ce principe et présentent, avec des moyens réduits, des espaces sans cesse remodelables.
La collaboration devient plus présente dans le travail de l’artiste puisqu’il est aidé sur ces derniers travaux par un chercheur en neuroscience (Laurent Perrinet), un compositeur (Wilfried Wendlig) et un ingénieur (Julien Marro Dauzat). Cette dimension de transversalité témoigne d’une volonté d’élargissement constante de l’art à d’autres champs : ici, le matériau de l’œuvre devient partiellement technologique, et en appelle donc à d’autres compétences spécifiques.
L’art adopte le nouveau langage universel et copine (parfois fusionne) avec la technologie. A la différence que, si l’homme se met encore une fois au diapason des machines, c’est cette fois pour créer des fractures et entretenir des espaces de flottement, pas encore tout à fait déterminés.
A noter que le plasticien devrait également réaliser une installation in situ sur un projet immobilier dans le quartier Saint Mauront (le Carré Saint Lazare, à l’initiative de la Fondation Logirem).Une position délicate pour l’artiste de créer un espace immersif qui sache se faire discret… Etienne Rey avait cependant déjà été amené à investir des espaces plus proches du local commercial que du white cube, et il en était finalement ressorti quelque chose plus de l’ordre du flottement que de la fracture brutale. Le plus gros risque, dans ce type de projet, étant que l’œil s’habitue trop à l’œuvre pour en être touché. Sans doute que la pratique de l’artiste, tournée vers le mouvement visuel, l’interaction et le changement atmosphérique, contribuera à éviter cet écueil.
Estelle Wierzbicki
Pour en (sa)voir plus : ondesparalleles.org