Rock el Casbah
« Les feuilles mortes se ramassent à la pelle… » La bordure de la pièce d’eau du Cours Julien s’orne d’arabesques dessinées par des danseurs improbables et les enfants piaillent. Flanqué de sa chienne et le front scindé d’un foulard, Farid Belayat, membre du groupe Ferraj, sourit et se confie.
« Les mains tendues, espaces déployés, trouées silencieuses ». Ces quelques bribes du poème Plaine écrit par Abdelhaq Kessair, Farid Belayat les déclame lors des concerts de Ferraj, comme un hommage à la poésie et à la langue françaises. Pourtant, c’est la poésie algérienne de tradition orale des années 20 et 30 que Farid s’est donné pour objectif de remettre à l’honneur. Une poésie dans laquelle il a baigné toute son enfance, passée à Sidi Bel Abbès. Une poésie qu’il souhaite aujourd’hui remettre au goût du jour. Une poésie qui loue la femme, les plaisirs charnels, les ripailles et Allah. Car Farid est las de l’image d’une Algérie islamisée véhiculée par les médias, et veut la réhabiliter telle qu’elle est, réellement.
Ferraj nait un soir de Noël, lorsque Farid retrouve une poignée d’amis algériens dont la famille est restée là-bas… Sonnés par l’alcool, ils sortent les guitares pour taper le bœuf. Ils se découvrent une harmonie et un groove communs et décident donc de fonder une nouvelle aventure musicale, un nouvel orchestre. Reste à lui trouver un nom… Un soir d’ennui, alors que Farid assiste à une représentation de la pièce de théâtre Le Bateau a coulé, il s’attarde tout particulièrement sur la chanson du spectacle. Dans l’impossibilité de retrouver les paroles ou son auteur, Farid en écrit de nouvelles et la nomme Ferraj, que l’on peut traduire par « le diffuseur de joie ». Farid apporte la matière brute, et chacun des quatre musiciens y ajoute sa touche. Naji Boukarana compose les arrangements, influencée par ses sources africaines et afro-américaines, tout en caressant à la guitare des solos aux résonnances blues rock non sans clin d’œil à Jimi Hendrix. Farid Ali Himene, qui a vécu au Mexique et a exploré les rythmes afro-cubains, apporte une certaine couleur latine à la batterie, aux sons rock et orientaux. Mohamed Amine Jebali, le seul musicien de la Médina de Tunis, travaille les percussions orientales ou afro-cubaines (darbouka, tar, bendir, congas) et complète alors la section rythmique de saveurs jazzy et orientales. Hichem Belayat met quant à lui les points sur les « i » à la guitare jazz rythmique et balance ses grooves à la Asri-Rai et Tinariwen, qui parachèvent l’identité de Ferraj.
La première partie de leur spectacle reste axée sur l’oriental romantique flanqué de riffs de guitare parfois reggae, parfois rock, parfois raï. La voix rauque de Farid fait chanter l’arabe d’une façon inédite, et son charisme emmène le public vers l’autre rive de la Méditerranée les yeux fermés, de quoi l’inciter à faire les chœurs. La deuxième partie est fortement teintée de rock. Pure énergie qui fait bouger les corps. Ferraj y reprend en boucle des tournures qui virent à l’hypnose. Et ainsi se dévoilent, puissantes, les deux facettes d’une même entité.
Catherine Moreau
Rens. www.facebook.com/ferrajgroupe