Identités Remarquables | Gaël Horellou
Jazz chamane
Gaël Horellou, l’un des saxophonistes les plus sémillants de l’hexagone, est de passage dans la métropole provençale pour deux dates en ce début d’automne. Il déboule sur deux scènes locales à la tête d’un quartet qui va faire bouléguer les jazzfans du 13 et même au-delà (du département et des seul.e.s jazzfans).
Il a su convaincre Ari Hoenig, fabuleux batteur new-yorkais, de venir le retrouver pour délivrer ses bombes rythmiques qui n’ignorent jamais la mélodie. S’étant découvert une affinité musicale sans pareille à l’occasion d’une jam-session à Paris en 2006, ces deux compères n’ont de cesse de se retrouver pour des sets enfiévrés à l’occasion desquels ils se régalent et régalent les publics de compositions originales trempées dans le meilleur de ce que d’aucuns qualifient de « post-bop ». Ces deux « jeunes maîtres » des notes bleues (pas tout à fait quinquagénaires, ils n’en développent pas moins une pédagogie en quête d’émancipation à destination des musiciens plus ou moins confirmés) convient sur la tournée deux cats des plus convaincants : le pianiste Étienne Déconfin, capable de dérouler un jeu plus que chaleureux, et le contrebassiste d’origine scandinave Viktor Nyberg, à même de tenir les murs de la maison lorsque l’incendie scénique ravage tout sur son passage.
Le responsable de cette belle affaire, Gaël Horellou, n’en est pas à son coup d’essai. Avec son saxophone alto, il a su construire un langage bien à lui, phagocytant le meilleur du hard-bop (ce jazz des 60’s qui, sans ignorer les apports de l’étrange beauté du be-bop, lorgnait du côté de la soul la plus dansante), façon Cannonball Adderley ou Jackie McLean. Nanti d’un riche parcours dans l’électro (il a d’ailleurs développé un projet de duo avec Ari Hoenig mobilisant quelque machine), fin connaisseur de drum’n’bass (on se souvient de son passage dans le projet Organics avec le pianiste « éclectrique » et néanmoins monkien Laurent De Wilde), il n’ignore rien des moyens de provoquer la transe, tant sur scène que dans le partage avec le public. Il continue sa quête de l’effervescence collective avec son projet Identités, conviant des musiciens réunionnais dans une sarabande trempée dans le maloya, sans oublier quelques traits de rythm’n’blues infernaux.
Est-ce grâce à ces multiples expériences qu’il développe un jeu de l’instant jazz décisif ? En tout cas, une sensibilité à fleur de peau émane de son être entier, puisqu’il ne fait plus qu’un avec sa musique : cette dernière l’envahit, le possède jusqu’à lui faire atteindre des sommets artistiques rarement entendus sous nos latitudes. Plasticien de l’espace sonore, sculpteur de blue notes, il atteint une dimension chamanique du jazz, convoquant l’esprit des grands anciens dans une maîtrise plus que parfaite de la tradition orale pour nous convier à l’extase d’une humanité meilleure. Son art du riff élaboré directement sur scène, tout en rappelant les meilleurs instants des big bands de Duke Ellington et de Count Basie, s’intègre parfaitement à notre époque de disruption, dont le philosophe Bernard Stiegler, grand jazzfan par ailleurs, nous propose de nous emparer. Comme si, à la soudaineté des tragédies contemporaines, le jazz de Gaël Horellou, forgé ici et maintenant, tendait quelque miroir mélancolique.
Gageons que le répertoire sera essentiellement constitué de compositions issues de son dernier album, Coup de Vent (sur lequel étaient présents le pianiste et le bassiste de la tournée), et que les Provençales et Provençaux alors sauront l’accueillir comme il se doit. Car si le mistral provoque des ravages incendiaires, il est aussi ce vent qui emporte les miasmes de notre aliénation métropolitaine au loin, à l’instar du quartet conduit par l’un des saxophonistes les plus éminents de la planète bleue (comme le jazz, bien entendu).
Laurent Dussutour
Gaël Horellou 4tet feat Ari Hoening : le 3/10 au Jazz Fola (Aix-en-Provence) et le 5/10 au Moulin à Jazz (Vitrolles).
Rens. http://jazzfola.com / www.charliefree.com
Pour en (sa)voir plus : http://www.gaelhorellou.com