Identités Remarquables | le Théâtre de Cuisine
Objets de curiosité
Créé en 1980, le Théâtre de Cuisine dirigé par Kathy Deville et Christian Carrignon livre, avec son ultime création, Conversation avec nos ancêtres, un hommage et un retour aux prémisses du langage du théâtre d’objet. L’occasion idéale de revenir sur le remarquable parcours des précurseurs du genre.
4 octobre 2019. Représentation scolaire à la Salle Seita, à la Friche Belle de Mai, juste à côté des locaux et ateliers de la compagnie. Kathy Deville et Christian Carrignon y ont posé leurs valises il y a une vingtaine d’années. Résidents artistiques permanents, ils ont créé dans cet espace une trentaine de spectacles et apprivoisé petit à petit ce territoire aux multiples langages culturels et urbains.
Les grands-parents et les dinosaures
Les enfants s’installent autour de petites tables nappées à fleurs dans la salle d’accueil du théâtre. L’excitation se ressent, ils trépignent. Le médiateur s’adresse à eux : qu’est-ce que c’est, pour vous, un ancêtre ?
Sur le plateau, on reconnaît un salon de grand-mère. Quelques meubles en bois, une lampe, une horloge et une table. La comédienne nous fait entrer par une petite porte, avant de nous immerger dans la mémoire de sa grand-mère. Elle souffle la poussière sur les meubles. Une pluie de paillettes lévite au-dessus la scène. Elle fouille chaque recoin du salon, tombe sur des photos, sur des jouets et remonte petit à petit le temps jusqu’à une époque très lointaine, la création de la première cellule vivante, il y a quatre milliards d’années. Pour sa dernière création, Kathy Deville s’interroge sur les similitudes et les pourcentages communs dont sont constitués les êtres vivants : « Il y a cinq ans, je suis tombée sur un documentaire par hasard, L’ADN, nos ancêtres et nous, et cela a véritablement changé mon regard sur le monde. Il relate les recherches génétiques de l’époque. J’avais été très impressionnée par le fait qu’un humain avait 30 % d’ADN commun avec un brin d’herbe. Nous sommes un tout ! J’avais très envie de le partager et, surtout, je souhaitais que les enfants entendent ça dans mon dernier spectacle. » La jeune femme s’assoit à sa petite table et sort différents jouets, des petits soldats, des dinosaures, la fourchette « Ça pique-Ça pique », des chimpanzés… Elle raconte à sa manière l’histoire de l’espèce à l’aide d’une vieille machine à manivelle qui fait disparaitre les objets. Des objets très précieux pour la compagnie puisqu’elle en a fait son langage propre.
Rebuts poétiques
« Le théâtre d’objet que l’on a inventé au fur et mesure n’est pas une technique mais un langage, et dans celui-ci, il y a la rhétorique de ce langage : le symbole, la métonymie, la métaphore, la représentation. Nous avons réfléchi à comment qualifier un objet et comment l’utiliser en tant qu’acteur. Ensuite, nous avons développé un langage cinématographique dans notre travail avec l’acteur, on utilise beaucoup le plan large, le plan rapproché, le champ-contrechamp, le travelling… Le cinéma nous a vraiment inspirés en termes d’espace sur le plateau. » C’est en 1981 que Kathy Deville, Christian Carrignon, Jacques Templeraud et les plasticien.ne.s Tania Castaing et Charlot Lemoine du Vélo Théâtre théorisent et créent le terme pour caractériser leur pratique : ils lui donneront le nom de « théâtre d’objet ». Tout se joue dans l’interprétation : si le comédien peut transmettre une émotion avec des mots, il doit pouvoir la créer avec des objets. Un lien intime chargé de sensible se développe alors entre l’acteur, l’objet et le public, des objets chinés qui portent en eux une certaine nostalgie : « Ce qui est très particulier à notre langage, c’est qu’on ne transforme pas les objets, on ne les fabrique pas non plus. Nous les chinons et leur donnons une seconde chance, ce sont les rebuts de la société. Tout ce qui a été rejeté, nous le mettons sur le plateau pour le magnifier et réveiller la mémoire de l’objet pour en faire un langage poétique. » Tous ces objets portés au plateau ont une réelle valeur mythologique ; leur petite taille et la minutie avec laquelle ils sont manipulés nous emmènent dans le monde du jeu, du conte, de récits familiaux et dans l’enfance. Véritables passeurs, les artistes du Théâtre de Cuisine proposent à chaque fin de spectacle une petite discussion-conférence avec le public.
Transmission
Très active auprès des enfants dans le cadre d’ateliers, la compagnie consacrera désormais une grande partie de son temps à la formation des acteurs. Elle propose des ateliers autour du langage cinématographique, d’autres sur le théâtre d’objet des années 80 en voyageant dans différents langages avec plusieurs artistes aussi précurseurs dans cette forme de théâtre. De par les rencontres que les formateurs font dans les stages, plusieurs jeunes artistes sont accueilli.e.s en résidence au sein du Théâtre de Cuisine, qui ouvre ses portes lors du « 41bis » pour présenter les sorties de résidence. Issue de ce dispositif, la compagnie Tac Tac dirigée par Clément Montagnier est maintenant accompagnée par Kathy Deville et son équipe : « Nous prenons ce rôle de passeur à cœur. Nous sommes face à une jeunesse extrêmement talentueuse, et en travaillant avec elle sur des embryons de créations, je peux voir comment ces artistes ont intégré notre langage, et surtout comment ils innovent par rapport à ce qu’ils ont reçu. Et évidemment, ça questionne notre façon de travailler, ce sont des moments très riches. »
Une richesse à partager, tout comme celle de nos aïeuls, livrée avec brio dans Conversation avec nos ancêtres.
Fiona Bellime
Conversation avec nos ancêtres par le Théâtre de Cuisine : les 30 & 31/10 au Théâtre Joliette, dans le cadre du festival En Ribambelle.
Rens. : www.festivalenribambelle.com
Pour en (sa)voir plus : www.theatredecuisine.com