Maelle Poesy © Jérémie Papin

Identités Remarquables | Maëlle Poésy

Tout sur Maëlle

 

A l’heure où les élections deviennent des couperets qui divisent le monde, Maëlle Poésy s’attaque, avec Ceux qui errent ne se trompent pas, à la possibilité d’une révolution par les urnes, un cas de vote blanc massif. Mais l’art ne serait-il pas, de toujours et encore plus actuellement, une lutte armée à blanc ?

 

Maëlle est jeune, jolie, talentueuse ; tout lui réussit. Elle a le nom d’un genre littéraire estimé, mais avec un Y pour faire plus sexy : Poésy.
Ce qui sonne comme un début de conte de fée et fera sûrement rougir sa modeste protagoniste n’est ni plus ni moins que ce qui se murmurait dans les coulisses du dernier Festival d’Avignon à l’annonce de la programmation de son spectacle Ceux qui errent ne se trompent pas par Olivier Py.
Jusqu’alors méconnue du public, elle ne l’était pas des professionnels, qui s’étaient déjà penchés sur son berceau artistique. D’abord en y déposant une invitation de la grande marraine la Comédie-Française à jouer deux petites pièces d’Anton Tchekhov, L’Ours et Le Chant du Cygne, dans son prestigieux Studio. Ensuite avec le parrainage de son travail par Dominique Bluzet, directeur des Théâtres, qui l’avait pressentie pour intégrer le pôle de ses artistes accompagnés aux côtés d’Argyro Chioti, Clara Le Picard et Marie Provence
Son intelligence, sa culture théâtrale et générale, sa manière de ne pas séparer son regard politique sur le monde de sa démarche artistique, et sa conviction que l’artiste a une implication dans la société ont conduit l’équipe des Théâtres vers ce choix. « Cet accompagnement sur cinq ans permet d’envisager les prochains projets en étant un peu plus serein, ce qui est un grand luxe. De même que de pouvoir y venir en résidence. Cela me semble primordial que les Théâtres ne soient pas que des lieux de diffusion, mais aussi de création. »
Poésy est le nom de jeune fille de sa mère, peut-être une façon pour Maëlle de ne pas être fille de… Etienne Guichard, son père, est en effet le fondateur et metteur en scène de la compagnie du Théâtre du Sable, implantée depuis de longues années à Saint-Quentin-en-Yvelines. Elle y a d’ailleurs fait ses débuts de comédienne à neuf ans avec sa sœur, Clémence, qui poursuit désormais une carrière internationale (vue notamment dans Harry Potter et les reliques de la mort ou dans la série Tunnel).
Maëlle aurait pu prendre un chemin identique si une heureuse coïncidence, survenue durant ses études à l’Ecole supérieure d’art dramatique du Théâtre National de Strasbourg en 2008, ne l’avait amenée à répondre à l’appel à projet du spectacle de fin d’année en tant que metteure en scène. Elle y monte Funérailles d’hiver d’Hanokh Levin avec ses camarades de promotion. Après un franc succès, elle le reprendra au Festival Théâtre en Mai du CDN de Dijon, sa première bonne fée en fait. Elle y commencera sa jeune carrière, y pendra appui et y implantera sa compagnie, Crossroad. Par la suite, elle en deviendra l’une des artistes associés.
C’est d’ailleurs dans le sérail de l’école du TNS qu’elle composera l’équipe artistique qui la suit actuellement, en raison du regard dramaturgique spécifique et très fort que les techniciens formés là-bas peuvent avoir sur les spectacles : « Pour moi, la construction du parti pris de mise en scène se fait aussi avec cette pluralité de langages. » Elle y rencontrera aussi son double de création, l’auteur et dramaturge Kevin Keiss. Collaborant à tous ses projets, il a signé l’adaptation de Candide de Voltaire, accueillie en 2015 au Théâtre du Gymnase. Un spectacle qui préfigurait déjà le style de Maëlle qui se fonde sur  l’idée de travailler sur une adaptation et sur une écriture originale tout en composant une écriture scénique construite avec l’équipe artistique. Autrement dit, une écriture très contemporaine qui sert un théâtre d’auteur. Tellement contemporaine qu’elle s’est fait spolier par l’actualité le suspense de son dernier spectacle, la fable politique Ceux qui errent ne se trompent pas, librement inspirée du roman La Lucidité du Prix Nobel de Littérature portugais José Saramago. Un titre plus qu’évocateur au vu du phénomène Nuit Debout, et qui a conduit certains à penser que Maëlle Poésy surfait sur l’actualité, alors qu’il s’agit d’une pièce d’anticipation. « Heureusement, la pièce est suffisamment fantastique et universelle pour qu’en fonction du contexte, elle puisse être lue de façon différente. Si nous avions joué cette pièce au moment de la crise en Grèce, on aurait pu nous attribuer le même opportunisme. Et elle aurait soulevé les mêmes questions. Elle ne donne pas de réponse ferme et définitive sur la façon dont il faut répondre à la crise démocratique actuelle mais ouvre sur des possibilités d’interprétations et de réflexions pour le public. »
En effet, Ceux qui errent ne se trompent pas interroge la responsabilité collective et individuelle d’une société par le biais d’un conte, dans lequel un déluge se mêle au cataclysme d’un vote blanc massif dans les urnes. Incompréhensible, car spontané, il envahit la capitale puis se déverse comme la pluie en marée blanche sur le pays. Face à ce chaos, le gouvernement va se montrer sous son vrai jour, évidemment tout autre que le programme qui l’a fait élire. D’état d’inquiétude en état de siège, les ministres s’affolent sous l’œil-caméra d’une journaliste atypique qui parcourt les coulisses du pouvoir en donnant à voir un autre visage de la démocratie.
C’est avec ce basculement, cet après-crise qu’elle a voulu fantastique que Maëlle nous captive. Les certitudes s’effondrent.
Friande du double autant que de mettre à jour les dualités, Maëlle fait jouer plusieurs rôles, qui se répondent voire qui s’opposent, à ses comédiens. Offrant ainsi au spectateur le choix d’être victime de l’illusion et non. L’excellent Grégoire Tachnakian (vu dans La Fille du 14 juillet d’Antonin Peretjatko), personnage porteur de la pièce, incarne de façon mystérieuse ou lunaire le ministre de la Culture et de la Famille Emilien Lejeune, professeur et coresponsable des services de la Vérité.
« Je n’ai rien fait de mal, je n’ai fait que rêver » s’exclamera une des interrogées.
N’est-ce pas un des premiers devoirs avant d’en devenir un délit ?
Lorsqu’on lui parle notoriété et réussite, Maëlle Poésy répond, dans un de ses grands éclats de rire qui vous la rend familière : « Concours de circonstance, suivi de travail, prise de risque, confiance et fidélité (des fées !). J’ai aussi bénéficié du fait que Candide. Si c’est ça le meilleur des mondes a beaucoup tourné et a été bien accueilli. »
Accro au travail, Maëlle Poésy va créer Orphée & Eurydice de Gluck en janvier 2017 à l’Opéra de Dijon. Puis, en collaboration avec un autre artiste accompagné des Théâtres, Antoine Oppenheim (collectif ildi ! eldi), un spectacle de fin de cycle aves les élèves de l’ ERAC, présenté en avril à Marseille. Enfin, elle voudrait travailler sur la notion de frontières. En espérant que cette fois, son sujet ne percute pas trop fort l’actualité.

Marie Anezin

 

Ceux qui errent ne se trompent pas par la Cie Crossroad : du 17 au 19/11 au Théâtre du Gymnase (1 rue du Théâtre Français, 1er).
Rens. : 04 91 24 35 24 / www.lestheatres.net