Les fleurs du rap

Place essentielle du hip-hop français à son apogée, Marseille n’était pas habituée à des artistes comme lui. MC Sirop est un mystère. Un mystère qu’il cultive, un artiste inclassable qui mélange les genres, le souffle d’un vent nouveau sur le paysage rap.

Fantasque ou génie ? Tous les qualificatifs sont bons pour parler de MC Sirop. Ce « bricoleur de rimes » a développé son intérêt pour la musique dès son plus jeune âge. Victor Coste, alias MC Sirop, ne se cache pas derrière ce nom de scène. Il clame haut et fort sa véritable identité lors de ses représentations et présente MC Sirop comme une version amplifiée et mise en scène de lui-même. Autodidacte et pluridisciplinaire, il développe son univers non seulement en musique mais aussi à travers les différentes expositions auxquelles il participe pour y afficher, entre autres, ses œuvres sculpturales, vidéo, ou bien encore ses dessins. Son but est de proposer ce qu’il nomme des « objets réflectifs », des pièces qui entretiennent une réflexion avec le monde. Il expérimente, parfois de manière conceptuelle, et propose un renouveau du rap pour raconter son expérience du monde sans avoir peur de porter un regard critique sur notre civilisation.

Son pseudo ? Il le doit à son adolescence, quand il pose ses graffitis avec la signature Searo. Dès ses débuts dans le hip-hop, il décide de conserver ce nom, tout en changeant son orthographe, car il est devenu plus qu’un simple surnom, mais bien une véritable identité. Ce nom en apparence farfelue laisse paraitre l’envie de ne pas vouloir être pris au sérieux : l’autodérision est de mise, le jeune homme s’amuse d’ailleurs à parodier les grands médias à son profit ou alors à proposer des œuvres artistiques à la démarche spontanée. Mais nous voilà vite rattrapés par cette apparence bien trompeuse à l’écoute de sa première mixtape, Siropositive, sortie en 2016, dans laquelle apparaît une réflexion profonde. Il y expose tout son talent de « peaufineur de grooves » et affirme son inclinaison pour le rap des années 90 dans des compositions qui doivent autant au jazz qu’à la funk ou au boom-bap.

Sirop marche sur un fil et zigzague entre les sens des mots et l’essence du texte. Il nous livre des textes mûrement réfléchis, qu’il nous raconte avec un flow métronome. Malgré des sonorités entrainantes, l’auteur veut devenir le porte-voix de ceux qui ne le peuvent ou ne le veulent pas. Il aborde des sujets qui questionnent une société où les inégalités sont grandissantes et où l’opulence côtoie la misère, mais il n’oublie pas de poétiser la place de l’homme dans ce monde. Comme il l’affirme, « l’artiste est censé incarner les possibles », et il aimerait porter l’humanité vers un « dessein plus favorable ». Il se pose ainsi aux antipodes des standards de diffusion radiophonique du hip-hop en 2018, en proposant un rap poétique centré sur l’écriture. MC Sirop est un amateur de lettres, fier de l’être : il introduit ses lives avec des vers de Baudelaire, car selon lui, « quand tu rappes, t’es amené à écrire, et pour écrire […] t’es forcé de lire, de te mettre du plomb dans la cervelle, et c’est ça qui va faire la différence. » MC Sirop livre une mixtape harmonieuse : des mesures rythmées entre humour et questionnements, portées par diverses assonances et métaphores fluidifiant l’écoute. Tout cela sur des productions entraînantes, nous transportant dans une ambiance décomplexée qui saura en ravir plus d’un et attirer tous les autres.

Le live ? Il en fait la dernière corde d’un arc déjà bien fourni. Ce spectacle vivant est à mi-chemin entre théâtre et concert. L’artiste nous transporte pendant plus d’une heure dans une histoire, dans son histoire. Mis en scène avec l’appui d’une comédienne, MC Sirop affiche une forte présence scénique. Pour lui, le live est un projet à part entière, où le spectateur n’est pas dans les mêmes dispositions que lorsqu’il écoute un CD chez lui ; chaque live est unique, chacun doit bénéficier d’un sort particulier. Sirop théâtralise ses interludes et lie le public par ses interactions constantes. Avec sincérité, il lui donne une place de choix et ne va pas ignorer quelqu’un qui se prête au jeu.

L’auteur aime la mixité et s’inspirer de tout ce qui l’entoure. Comme il le dit lui-même, le projet MC Sirop est un « virage sonore [qui] suggère l’itinéraire d’un curieux. » Il ne cherche pas à être catalogué, et laisse au public le soin de le faire. Siropositive était un écho au rap des années 90, le nouvel EP sur lequel il travaille aujourd’hui serait toujours dans l’esprit boom-bap, mais pourrait inclure des productions plus électro et jazz.

Parfois, son expérience des Beaux-Arts de Marseille reprend le dessus et l’artiste prend la place de l’auteur pour nous offrir des productions plus poétiques et conceptuelles, comme en témoigne son morceau Un Œuf, qui surprend et suspend le temps, nous transportant dans les limbes de son esprit.

L’année 2018 marque le début d’une nouvelle histoire pour MC Sirop. Fraichement auréolé du Coup de Cœur du Jury de la Pépinière d’Artiste Nomade Kultur en janvier, il travaille déjà sur son prochain EP qu’il réalisera dans des conditions professionnelles, et prévoit le tournage d’un clip pour sa nouvelle chanson Immensité. Il enchaine les représentations et expose son univers poétique à un public pour qui il est encore inconnu. Seul, il se bat tous les jours pour faire vivre ce projet « à la frontière des genres » et espère faire durer cette histoire. S’il ne manque pas ce virage, MC Sirop va indubitablement devenir un acteur fort de la scène marseillaise.

Théo Renoux

Rens. : victorcoste.com/portfolio/mc-sirop/