Identités Remarquables : Oh ! Tiger Mountain

Identités Remarquables : Oh ! Tiger Mountain

L’année du Tigre

En une poignée de concerts solo, Mathieu Poulain a réussi le tour de force de nous faire oublier les vacances prolongées de son principal groupe, Nation All Dust. Et pourrait bien franchir un cap avec son beau projet d’obédience folk : Oh ! Tiger Mountain.

Oh-Tiger-Mountain.jpgVous connaissez ce visage. C’est celui du frontman de Nation All Dust, plus sérieux espoirs du rock indé à Marseille, trois ans que ça buzze (1). Vous connaissez ce visage, sauf que d’ordinaire il est loin d’être figé : au contraire. Mathieu Poulain est ce garçon chevaleresque et fringant qui prend littéralement possession de la scène une fois qu’il est monté dessus, tellement, tellement qu’on a longtemps eu envie de se prendre pour le jury de La nouvelle star. Lio : « T’es trop mignon quand tu moulines en claquant des talons, ça me rend toute chose, mais là j’étais pas dedans, t’a surjoué. Tu veux qu’on en parle dans ma loge après ta prestation ? » Philippe Manœuvre : « Alors moi j’adoooore ta rock’n’roll attitude, mais alors si tu veux sortir un jour un singôôôle, il va falloir changer de costard, les Hatepinks ont déjà les mêmes en mieux, enfin quoi j’veux diiiire ! » Dédé Manoukian : « Je kiffe ton romantisme exacerbé, seulement quand tu dédies des chansons au beau sexe, ça bloque l’ouverture de mes chacras. » Bilan des courses : trois « rouges ». Et puis les saisons ont passé, le temps a fait son œuvre, nous nous sommes ravisés. Lio parle trop. Manœuvre est totally has-been. Dédé a en général tout juste, mais il lui arrive parfois de se tromper. Et Mathieu ? Il avait sans doute compris une chose : ne surtout pas en faire moins, mais en faire mieux. Lorsque Alex, le second guitariste, est parti il y a quelques semaines rejoindre les musiciens de Phoebe Killdeer, Nation All Dust a brièvement pris la forme d’un power-trio : le cheveu long et le visage badigeonné de poussières d’étoiles, Mathieu devenait l’épicentre d’un combo à la formule resserrée, compacte, nerveuse, et ça lui allait bien. C’était bancal mais vivant, c’était juste, et l’on prenait soudainement conscience qu’il y a des gens qui sont faits pour ça, d’autres pas.

Early works

Mathieu prend la lumière comme peu d’autres en France (dans ce registre), seulement voilà : son pote Guillaume (bassiste) se barre bientôt à Lille, où il vient de décrocher un super job. Petit problème : un groupe de rock à deux, c’est moyen. Que faire ? Eh bien… tout changer. Mais ne surtout pas arrêter, pas maintenant. C’est presque une question de survie : de son propre aveu, Mathieu ne sait faire « que » ça, il a besoin de jouer, de se retrouver sur scène. Et pour l’y avoir vu à maintes reprises, on veut bien le croire… Nation All Dust ? « Le groupe va devenir une sorte de collectif informel, toujours avec Guillaume, bien sûr, mais aussi avec des amis musiciens que l’on va intégrer au processus d’enregistrement, de façon très libre. Le but est de sortir du circuit traditionnel, en travaillant sur une plate-forme d’échanges — via Internet — qui permettrait d’écouter la musique de chacun des membres du collectif, et surtout de la retravailler à partir de la matière fournie… On a suffisamment de compos pour nourrir ce projet, mais aussi pour sortir une première compilation du groupe, façon early works. » Voilà pour les bases. Mais la grande nouveauté, c’est ce projet en solo qui voit Mathieu revenir quelques années en arrière, quand il jouait dans des bars anglais avec pour seul complice une guitare. Oh ! Tiger Mountain (en référence à un album de Brian Eno) est même une priorité pour celui qui se voit davantage en songwriter qu’en post-rocker monté sur ressorts. C’est lui, sans calcul ni artifices, qui s’essaie à creuser sur un format court le sillon fertile de quelques icônes d’un autre âge (Nico, Van Morrison, Bruce Springsteen, ce genre). Mathieu : « Ce sont des chansons de facture classique, il n’y a rien de réfléchi, ça sort comme ça. J’essaie de les faire du mieux que je peux, comme un artisan, avec un vrai souci de sobriété et de sincérité : là, je n’intellectualise plus la musique, comme ça peut parfois être le cas quand tu travailles en groupe. » En un mois, deux premières parties (pour Coming Soon et Gravenhurst) auront suffi à calmer tout le monde. Mathieu est à poil, mais parce qu’il a du talent, les oripeaux peuvent rester au vestiaire : sa voix est sublime, sa gestion de l’espace impressionne, et certaines de ses chansons filent déjà le frisson (sublime Or the drugs). Bref, en levant le voile sur la facette la plus intime de son travail, il révèle surtout la pleine étendue d’un potentiel que l’on pressentait fort, mais qui était parasité par un surplus de présence pour occuper le terrain (scénique, médiatique) avec son groupe : « Moins je fais de bruit, plus je suis obligé de faire juste, je n’ai plus à attirer l’attention. » C’est fou ce que la langue française recèle comme subtilités…

A l’américaine

Pourtant, c’est bien l’anglais que Mathieu a choisi d’utiliser pour écrire, comme pour coucher ses pensées sur sa page MySpace (il faut dire que faire une thèse, ça peut aider). Et ça n’a rien d’un hasard : sa culture musicale et littéraire est essentiellement anglo-saxonne. On touche là l’une des caractéristiques fortes du garçon, qui fait partie de ces (trop rares) personnes à avoir compris que leur langue natale ne pourrait jamais traduire, dans leur art, toute l’immensité du spectre émotionnel initialement déployé. Ecouter en anglais, lire en anglais, parce que c’est là que se trouvent les origines de ce qui le fait réagir — et qu’elles se passent d’une transcription qui en dénatureraient l’essence. Guillaume, son bassiste exilé à Lille (et leader de Quaisoir) : « A la limite, il n’a rien à foutre ici. Son accent est parfait, c’est un musicien hallucinant, un vrai boulimique de culture anglo-saxonne, extrêmement cultivé. J’ai l’impression que tout est facile pour lui. La première fois qu’on l’a vu sur scène, il devait avoir quatorze ans… Gros potentiel. Pour moi, plus qu’un rocker, Mathieu a toujours été un songwriter, très solaire, très humble dans sa démarche : avec Nation All Dust, c’est sa conception à l’américaine du show qui a pris le dessus, mais je pense qu’il ne s’est jamais posé la question de savoir comment il allait gérer ça. Il avait sans doute besoin de se recentrer sur lui, je trouve ça très bien, ça colle davantage à son univers. » Mathieu, planté devant nous avec une discrétion qui tranche avec la flamboyance dégagée sur les planches, ne renvoie effectivement pas l’image du mec qui se la raconte. Quelqu’un qui, lors d’un premier contact il y a quelques années, commence par vous parler musique avec un grand sourire collé jusqu’aux oreilles ne peut être foncièrement méchant. Ou alors beaucoup moins que Sinclair, à qui on laisse le mot de la fin : « Mathieu, c’est pas très funky ton nouveau trip lo-fi. » Sinclair, va donc prendre l’air de la montagne, tu n’as pas l’œil du tigre.

Texte : PLX
Photo : Loulou

www.myspace.com/ohtigermountain

(1) pleine page de présentation dans ces colonnes en mai 2005 (ouverture de Bloc Party)