Olivier Dubois © Frédéric Lovino

Identités Remarquables | Olivier Dubois

L’équilibre des extrêmes

 

Olivier Dubois a déjà marqué la danse contemporaine par sa présence atypique et magnétique en tant que danseur chez Jan Fabre, Angelin Preljocaj, Dominique Boivin, Sasha Waltz… Depuis quelque années, c’est le chorégraphe qui, par la magnificence de sa danse, son audace, sa liberté, enflamme la scène internationale.
Avec Auguri, sa dernière création plébiscitée à la 17e Biennale de la danse de Lyon, il s’envole avec brio dans une course époustouflante.

 

On le dit surdoué, dérangeant, exigeant, frisant la démesure…
Il se revendique auteur, chercheur, artisan, enfant du monde…
Olivier Dubois est un homme tout simplement, un homme de son temps, du temps présent. S’énonce ici la raison pour laquelle il est impossible de faire son portrait, ou alors en omettant la case biographie, car seul le présent captive cet artiste aussi courageux que radical dans ses choix.

Son présent, avec un petit air de célébration, s’appelle Auguri. Une pièce pour vingt-deux danseurs sur une symphonie électronique écrite par son acolyte, le talentueux François Caffenne. Mais c’est aussi la fin d’un cycle de sept ans consacré à sa trilogie Etude critique pour un trompe-l’œil, commencée en 2009 avec Révolution, poursuivie avec Rouge (2011), et qui s’achève avec le dytique composé de Tragédie (2012) et aujourd’hui de Auguri.

« Toutes ces pièces envisagent, questionnent la notion d’humanité, approchée à différents endroits à chaque fois, précise-t-il. Tragédie ouvrait le chemin à cette dernière quête d’un absolu chez l’homme, le bonheur. Mais sans aucune garantie au bout. Je ne parle que de la quête, pas de son résultat. »

Toujours avec la même obstination (obsession), Olivier Dubois creuse le sillon de l’intime pour arriver à l’universel. Ainsi, Auguri n’est pas la version « course » de la marche Tragédie, mais quasiment sa suite, indéniablement son complément d’étude. « Je crois à la correspondance des œuvres chez un même auteur, je m’inclus donc dedans, finit-il par lâcher pudiquement. Il y a d’ailleurs plus que de la correspondance, c’est une plongée. Comme souvent, je m’enfonce dans les forêts les plus sombres de moi-même et j’y avance avec la connaissance des chemins que j’ai déjà parcourus. Je ne crois pas à la nouvelle écriture, à une pièce qui serait très différente à chaque fois. Je ne cherche d’ailleurs pas la rupture. »

De la démesure, Olivier Dubois tire l’âme des choses, se place au cœur de la perception. « A l’instar de l’ornithomancie, qui permet de lire à travers les entrailles ou le vol des oiseaux, ce serait une “anthromancie” qui dévoilerait le destin de l’humanité à travers nos courses. Auguri est comme un grand observatoire comme on étudie les oiseaux ou les étoiles. Il y a probablement quelque chose d’indéchiffrable à y lire. Il ne nous reste que la sensation pour percevoir le mystère du pourquoi de nos destinées. »

Auteur contemporain
Toutes ses approches du répertoire sont contemporaines. Il se défend de faire du muséal : « Je ne vais pas puiser dans des classiques, je vais dialoguer avec les morts, avec un savoir, ironise-t-il. Mais j’ai la raison de mon temps, je suis de mon temps, je n’ai jamais écrit le Boléro de Ravel, j’ai écrit Révolution »

Contemporain, Dubois se refuse pourtant à commenter l’actualité dans ses pièces : « Je ne crois pas au commentaire de situation comme vision artistique, s’agace-t-il. Mon combat, en tant qu’artiste, est de replacer la sensation au cœur du monde et de l’art. Sortir d’une démarche intellectuelle car ce n’est pour moi qu’à travers la sensation que notre intime se déploie et prend toute sa dimension universelle, cosmique. »

 Au pas de course
Question mental, Dubois est une machine de guerre. Esprit qu’il insuffle à ses danseurs du Ballet du Nord (qu’il dirige depuis 2014), et plus encore pour Auguri, pièce pour laquelle ils ont suivi un entrainement sportif intensif afin d’éviter toute blessure. « Auguri est encore plus physique que Tragédie. Il fallait donc leur donner les moyens de traverser tout ça. Par la maîtrise et la conscience, leur permettre d’être des hommes et des femmes qui dansent et non des coureurs. Qu’il y ait une âme dans tout ça. Cette pièce n’est qu’une course de vitesse, à l’endroit de l’élan, du déséquilibre où seule la permanente production de vitesse leur permet de tenir encore debout. Le ralentissement risque de provoquer l’effondrement. Ajoutons à cela une partition extrêmement complexe où il y a environ 750 entrées, ce qui veut dire que le moindre doute d’une fraction de seconde a des répercutions immédiates et en chaîne sur tout le reste. Donc tout est en réajustement permanent. Nous ne sommes à l’abri de rien. Il y a une urgence très forte à l’intérieur de la pièce. »

 

Le chaos, source de création
« Auguri commence avec la fin de Tragédie, comme si on traversait ce rideau d’où Karine Girard (ndlr : une de ses danseuses fétiches, aux cheveux de feu et tout en rondeurs, son presque double féminin) est la dernière à partir. C’est de ce chaos final que je suis parti. Il est comme une mathématique, une organisation indéchiffrable, incompréhensible, quasi secrète, en aucun cas une destruction. Nous sommes à un endroit déjà cathartique. Le chaos engendre et permet la renaissance, dans laquelle nous sommes déjà sûrement. Il est une merveilleuse matière de création. »

Olivier Dubois, inquiet des disfonctionnement du monde ? Pas vraiment… « Je crois au mouvement. Pourquoi s’affoler ? Oui, il va falloir lutter, se révolter, avoir un peu des couilles à tous les endroits. Lorsqu’on regarde l’histoire du monde et des civilisations, on constate que nous traversons de grands cycles, des ères humaines, alors gardons une sorte de sagesse, celle de le reconnaitre et la sauvagerie d’y réagir. C’est encore une fois l’équilibre des extrêmes, être sage et sauvage. Laissons la peur nous traverser, qu’elle nous appartienne pour ensuite la travailler, la transformer ; c’est à mon sens le seul moyen de l’affronter. »

La méthode Dubois
Pour lui, « la danse est du théâtre en mouvement, donc chargé d’intention. » Il dit avoir une maturation très lente en matière de création, sur plusieurs années, mais lorsqu’il arrive en studio, il a déjà avancé à 97 %. Il écrit une partition sur du papier millimétré — ce qui est déjà parlant de la précision qu’il adjuge à son travail. Il y notifie un parcours comprenant les durées, la teneur du son, la qualité et les lieux des déplacements, les moments de montée dramatique. Mais pour lui, créer c’est avant tout (se) questionner, dialoguer. « Dans Tragédie, il a des instants dansés dans la dernière partie, mais ils ne sont chargés que d’intention. Je n’ai jamais travaillé sur la façon dont les interprètes ont d’approcher le mouvement, je ne modèle pas leur façon de courir dans Auguri, ni de marcher dans Tragédie, et ce malgré une partition chorégraphique extrêmement cadenassée. J’aime voir ces vingt-deux personnes qui ont chacune leur singularité… des artistes et pas un ballet de petits soldats. »

Contrairement aux apparences et comme tout perfectionniste, Dubois doute. « Je doute tellement que j’attaque toute nouvelle création avec la sensation de ne pas avoir les outils et avec l’incertitude de ne pas être à la hauteur de ce que je veux toucher. Heureusement, le doute est chez moi un grand générateur de puissance. Dès que je doute, je me propulse vers l’avant. »

Sa troupe de pirates
S’il affirme ne pas maitriser l’outil improvisation et ne pas être du genre à chercher le mouvement en studio, il revendique que ses danseurs s’approprient l’œuvre. « Je les veux pirates, pas dans le sens mutinerie, plaisante-il dans un de ses rires fracassants, mais dans le fait de prendre la barre, que ce soit eux qui pilotent et emmènent le bateau là où il doit aller, vers des mers inconnues. C’est le travail de toute une création. »

La spiritualité
« Il y a presque un constat qui est arrivé au cours de la création d’Auguri : celui de me dire que probablement, le bonheur serait après la vie. La vie n’est faite que de cette quête. Une traversée assez sombre et violente même, je dois l’avouer… Je sens que depuis deux ou trois pièces, cela a commencé avec Souls, j’ai à l’évidence une approche plus mystique, et non religieuse, dans mon travail. Mais je reconnais à peine cette part mystique. J’y vais avec extrêmement de précaution, c’est à la fois trouble et dangereux. »

La région
Malgré ses racines provençales, le fait d’y avoir vécu de nombreuses années et d’y être revenu durant son passage au Ballet Preljocaj, la région PACA n’est pas son port d’attache. Si ce n’est la volonté de venir immanquablement y présenter ses œuvres, ou de participer à quelques créations (Elégie avec le BNM en 2013), Olivier Dubois est devenu, comme il aime à le dire lui-même, un enfant du monde

A un peu plus de quarante ans, son corps rentre dans une norme non recherchée mais parlante d’une nouvelle direction dans sa vie. Un apaisement ? La fin de sa course ? La reconnaissance publique ? Ou est-ce le Caire, son coup de foudre d’il y a vingt ans, où il vient de s’installer à mi-temps, qui lui apporte cette paix ? Il aime le chaos de cette ville et ce qu’elle a d’extrême, entre sa modernité, sa jeunesse et son fort ancrage dans l’histoire.

Ne comptez pas sur lui pour vous aiguiller sur où est son bonheur. Il consent uniquement une réponse en forme de sujet de Bac philo : « Le bonheur pour moi, c’est l’équilibre des extrêmes. »

Quelques éléments de réponse se trouvent dans Auguri et plus largement dans le livre qu’Olivier écrit actuellement sur son travail, qui sortira à l’automne 2017. Un nouveau challenge ? « Je peux me tromper, je peux ne pas réussir, mais pour tout, je n’assumerais pas le fait de ne pas avoir tenté. »

Marie Anezin

 

Auguri d’Olivier Dubois : le 4/11 au Grand Théâtre de Provence (Aix-en-Provence).

Rens. : 08 20 13 20 13 / www.lestheatres.net