Identités Remarquables – Peter Mertes
Il est des parcours qui forcent le respect : retour sur celui, tumultueux, du créateur allemand Peter Mertes, qui ouvre ce week-end une boutique à Marseille… (lire la suite)
Le grand Pardon !
Il est des parcours qui forcent le respect : retour sur celui, tumultueux, du créateur allemand Peter Mertes, qui ouvre ce week-end une boutique à Marseille…
Il n’a pas l’air de regretter son choix. A l’aube de l’ouverture de sa première boutique sur le continent, Peter Mertes affiche un sourire béat, presque enfantin. Personne — surtout pas lui — n’aurait pourtant pu prédire que ce grand blond au regard perçant partirait à la conquête du Monde en commençant ici, à Marseille. Le destin — l’amour — en aura décidé autrement. Ce même destin qui l’aura d’abord conduit à s’exiler dans le Sud-ouest, avant de se faire un nom à La Réunion, suivant un parcours des plus chaotiques…
Naissance en 1953 à Trêves, petite ville allemande (à la frontière du Luxembourg et de la France) dont le patronyme suggère une tranquillité qui ne sied guère à la fougue de la jeunesse. Enfance pas terrible, entre un père très autoritaire et un petit frère qui accapare toute l’attention. Les études ? « J’ai tout essayé… et tout raté », confie-t-il en riant. Peu importe, Peter a d’autres atouts en poche. Après trois ans dans l’entreprise familiale, il prend le large, se défait enfin de ce joug paternel décidément trop difficile à porter. Bricoleur, il monte et décore seul un bar-restaurant. Tout le monde le pense fou ? Il s’accroche de plus belle. Et fait un carton : six semaines après l’ouverture, le lieu affiche complet tous les soirs. Mais s’il s’épanouit dans la créativité, notre opiniâtre Teuton ne goûte guère les « joies » de la gestion. Et il a la bougeotte. Il confie alors les comptes et la boutique à un copain, puis part en vacances. Loin, longtemps. A son retour, trois mois plus tard, il ne peut que constater les dégâts : son « pote » s’est fait la malle, Peter est ruiné, déclaré en « faillite personnelle »… « J’en étais à compter mes vêtements ! » Le sort s’acharne : alors qu’il avait par deux fois réussi à échapper au service militaire, l’Etat le rattrape et le contraint à rejoindre le rang. Dur : l’armée symbolise tout ce qu’il déteste dans son peuple — la discipline. Alors, sitôt le supplice achevé, il prend la poudre d’escampette. Encore. Pour de bon. Sa destination est toute trouvée : la France. Pour le soleil, pour la bouffe, pour la spontanéité, l’individualisme épicurien de ses habitants. A Bayonne, Peter apprend notre langue, enchaîne les petits boulots (manœuvre, ouvrier dans le BTP…), fabrique des meubles pour compléter ses maigres revenus (2 400 francs par mois). Mais un an et demi à ce régime, ça use… Il fait alors ce pourquoi il est le plus doué : ses valises. Direction La Réunion, paradis du métissage et des « belles filles » (sa deuxième « passion », après les voyages). Sans le sou, sans travail (il n’aura tenu qu’une semaine comme conducteur de poids lourds avant de se faire dénoncer pour avoir osé… prendre un bain !), Peter ne rêve plus. Ou plutôt, il rêve d’ailleurs : du Costa Rica, « le seul pays anti-militariste en Amérique du Sud ». Problème : il a vendu son billet de retour. Solution : « Monter une boîte, travailler pendant trois mois, encaisser l’argent et partir… »
Commence ici la fabuleuse histoire de Pardon !. Doué pour la sérigraphie, Peter crée des tee-shirts et des chemises. Il y imprime le nom et le logo du magazine avec lequel il a grandi, une sorte de Charlie hebdo d’outre-Rhin. Et là encore, à la surprise générale, le succès est au rendez-vous : notre homme gravit les échelons de la société réunionnaise, crée deux marques supplémentaires, devient chef d’entreprise — curieuse ironie pour cet éternel insoumis. Las, nouveau coup du sort, son usine prend feu. La dette s’élève à trois millions de francs. Lui qui n’a jamais eu la bosse du commerce comprend que son salut passera forcément par une autre manière de voir les choses. Financé par un ami, il monte sa première boutique — une réussite, évidemment, qui donnera naissance à cinq autres magasins sur l’île. Et fera couler beaucoup d’encre… Car Peter fait passer des messages sur ses fringues : « Je peux pas m’empêcher de l’ouvrir ! » Provocateur et engagé, il s’en prend au Pape, à Paul Vergès (le frère de qui vous savez, responsable du Parti Communiste de La Réunion), dénonce la corruption des politiques, fustige le conservatisme et l’hypocrisie autour du cannabis ou de la religion…
Et l’amour dans tout ça ? Peter ne s’étale pas trop sur la question : il est « instable », mais il se soigne (quinze ans de psychothérapie !), il a aimé (« des femmes compliquées ! »), a même été marié pendant quelques temps. Et l’an passé, il est tombé amoureux fou. D’une Marseillaise : une histoire forte, passionnée. Persuadé d’avoir trouvé « la bonne », il profite d’un de ses passages pour visiter des locaux, essayer de trouver l’éventuelle future boutique qui scellera son destin phocéen. Hélas, l’histoire capote, « la garce » est retournée chez son ex. Qu’à cela ne tienne, Peter n’a pas dit son dernier mot. Espoir de reconquête ? Désir de vengeance ? « Un peu des deux… » Toujours est-il qu’il finit par monter un magasin rue Grignan. Samedi, pour l’inauguration, elle devrait être là. Regrettera-t-elle son choix ?
CC
Inauguration de la boutique Pardon !, le 4 à la rue Grignan, suivie d’une soirée au Trolley