Identités Remarquables | Texture Droite
Émules et images
Fabien Fabre — que nous suivions déjà avec intérêt à travers le projet 9th Cloud — revient avec Texture Droite, pseudo sous lequel il sort un remarquable album techno, Vibrant Pixel, qui a le don de créer un surprenant mélange de corps et d’esprit, de frénésies musculaires et de voyages mentaux stellaires. Une électro fait maison, pour une plongée dans le micro-sampling addictif d’un artiste à l’ambient envoûtant. Créé et sublimé par le live, cet album sera diffusé en livestream dans quelques jours. Dans l’attente impatiente de faire vibrer nos corps de ces rythmes synthétiques, nous en avons rencontré le faiseur.
Mordu de musique depuis le lycée, Fabien se passionne pour le hip-hop lors de sa « seconde » vague en France ; notamment le hip-hop US, porté entre autres par le label Rawkus Records. Il découvre le hip-hop dit « conscient », celui que certains appellent « blanc », ou de « back packers », avec des artistes comme Mos Def ou Nas. Au lycée à Avignon, il affectionne la petite boutique Sixpack(1), où il déniche ses vinyles. À la même époque apparaît un équivalent musical instrumental à ce hip-hop : un « hip-hop instrumental electronica », qui plaît et se développe sur des labels comme Ninja Tune ou Mo’Wax.
Tout part de là : Fabien se met d’abord au djing, au mix et au scratch.
À force de mixer des tracks, il a envie d’en composer lui-même ; quelques années sont nécessaires à un résultat qui le satisfasse. En 2004, il a plusieurs morceaux quasiment terminés dans son disque dur. « À une époque où les sorties en électro ne sont pas quotidiennes en France », il est prêt à s’autoproduire. Il croise le directeur du label K on A Records, monté avec le distributeur La Baleine (assez réputé à l’époque), qui décide de le signer. Sous le nom 9th Cloud, il sort deux albums et plusieurs EP d’un projet d’abstract hip-hop electronica. « C’était une chouette aventure. »
Les dernières sorties sous le nom 9th Cloud sont très tournées vers le « spectacle », le live ; beaucoup des compositions faites pour le live seront ensuite déclinées sur disque. C’est le cas du projet Prism, en collaboration avec son ami Cyril Méroni, incluant un gros travail d’installations vidéo : un très beau live, mais « compliqué à mettre en place entre les écrans et les projecteurs. » Suite à quoi la machine est lancée, Fabien a « pris goût à faire danser les gens. »
Belles boucles
Le projet Texture Droite en découle. C’est un projet techno ambient, « un peu plus dancefloor ». En contre-pied de son ancien projet, long à monter et compliqué à faire tourner, il décide de projeter dans ce dernier des images en frontal derrière lui, sur scène. « Aujourd’hui, on demande aux artistes électro de proposer un live audiovisuel, c’est à dire se promener avec leur musique et de la vidéo. » Pour creuser la question, Fabien décide de filmer des écrans. De près, de loin, des écrans cassés, des écrans floutés, toutes sortes d’écrans pour fabriquer de la matière vidéo. Matière qu’il monte et fait monter pour accompagner son live. Malgré le fait d’adorer l’image, Texture Droite garde un regard critique sur la prédominance des écrans dans nos vies actuelles. De la vidéo fabriquée à partir de matière vidéo, comme une mise en abîme de cette question, un pied de nez. « On passe nos journées sur des ordis ou des téléphones, et le soir on va regarder des vidéos derrière les dj’s et les musiciens. On passe notre temps à être concentrés sur des pixels. » L’habillage visuel de Vibrant Pixel est né.
Pour ce qui concerne le processus de création musicale, Texture Droite garde une empreinte audible de l’expérience de sampling acquise à travers ses premières amours hip-hop ; il crée de la matière sonore sans rythmes, de l’ambient, à partir de matériaux enregistrés au micro ou au synthé. Les samples sont tellement courts qu’il s’agit plutôt de micro-sampling, de resynthèse granulaire : à partir d’un son, on crée une micro boucle qui devient un instrument. « Là encore, on retrouve l’idée du pixel : partir de tous petits morceaux de son qu’on met bouts à bouts pour créer un son, tout comme le pixel est l’élément unitaire d’une image. » Des ébauches, il en a des dizaines, qu’il réécoute. Certaines lui donnent parfois le déclic, et il les retravaille avec l’aide d’Olivier Vasseur, ami et ingénieur du son, pour atteindre le mix idéal.
Images on air
Sorti en octobre dernier sur le label Slab Note, « sous-label » techno de Jarring Effects (Ezekiel, High Tone, Brain Damage…), Vibrant Pixel fera l’objet de plusieurs dates live, soumises à la tendance actuelle consistant à programmer des concerts assez longtemps à l’avance dans l’espoir que la tempête d’annulations intempestives ne soit qu’un lointain et mauvais souvenir…
En avant-goût d’une reprise de la vie culturelle que nous nous forçons de ne pas ranger dans la catégorie « nostalgie », nous pourrons nous délecter d’un livestream de Texture Droite la semaine prochaine (entre autres artistes de talent), lors de la diffusion de French VIP, initiative de la Sacem qui valorise le travail des jeunes éditeurs indépendants. Pour ce concert en ligne, nous regarderons donc des écrans dans un écran depuis nos écrans…
Courage.
Lucie Ponthieux Bertram
L’album Vibrant Pixel est à écouter sur https://fanlink.to/Vibrant-Pixel-Texture-Droite
Texture Droite sera en livestream le jeudi 17 décembre à 16h sur www.facebook.com/frenchvipofficiel
Notes
- Aujourd’hui marque de prêt à porter (re)connue, Sixpack fût la première marque française à mettre en place le système de collaboration avec des artistes[↩]