Identités Remarquables | Yohanne Lamoulère
Sans soleil
Yohanne Lamoulère est l’invitée d’honneur du festival Photo Marseille 2019. Articulée autour de la date anniversaire de l’effondrement de trois immeubles de la rue d’Aubagne, son exposition nous emmène sur un territoire entre Nîmes et Marseille, à la recherche de la construction d’une identité.
Le travail de Yohanne Lamoulère s’inscrit dans une ambigüité assumée. La part de réel et la part de fiction s’entremêlent dans une construction qui abolit la frontière entre le documentaire et la photographie plasticienne. La mise en scène nous donne à voir des décors sans qualité, abandonnés d’un monde contemporain qui nous annonce une croissance à deux chiffres. C’est un envers du ruissellement des richesses savamment orchestré dans l’actualité du quotidien. Ici, pas de piste cyclable, ni de tram en vue. Tout ressemble à des zones périphériques, à l’écart de centres commerciaux, où le shopping bat son plein. Pourtant, ce sont des endroits que l’on a traversés, qui sont à deux pas de là, parfois de l’autre côté de la rue. Yohanne Lamoulère utilise la photographie dans une histoire très personnelle. « Il faut que je me raconte un petit peu pour me poser les bonnes questions. » Il y a beaucoup de jeunes qui aiment se revoir au détour d’un livre ou d’une image qu’elle leur offre ; ces rencontres, d’un hasard qu’elle poursuit, lui offrent une possibilité de dialogue et la construction d’un imaginaire. « J’ai souvent dans la tête un décor, un paysage et un visage. » Le lien entre chaque image n’a rien d’évident, on devine le quadrillage d’un territoire qui fabrique une déambulation, mais ce n’est pas non plus une marche ou une promenade. Les personnes photographiées sont souvent des connaissances. Ce n’est pas une négociation de l’instant, mais un partage d’envies et de convictions qui valident le désir d’une photo. Le corps habite un espace informel entre le terrain vague et l’angle de rue. Un urbanisme fade et abimé qui traduit l’état d’une région et la corruption des pouvoirs publics. « Je suis un produit des années 80, mais la politique des quartiers reste la même. » D’où vient-elle, où va-t-elle ? Manger tes yeux est un travail sur le mensonge et le jeu des apparences. « J’installe un naturalisme dans la mise en scène. Tu traverses un endroit et tu veux le photographier, parce qu’il va disparaitre. Un endroit sur deux n’existe plus dans mes photos. » Il y a une tentative de rattraper le désespoir et de changer le cours des choses. « La photographie d’une rencontre, c’est un temps qui n’est plus perdu. »
Karim Grandi-Baupain
Yohanne Lamoulère – Manger tes yeux : jusqu’au 8/12 à la Salle des Machines (Friche la Belle de Mai – 41 rue Jobin, 3e).
Rens. : www.laphotographie-marseille.com
Pour en (sa)voir plus : www.yohannelamoulere.fr