Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer à la Friche La Belle de Mai
Soyons désinvolte
Le Théâtre de la Criée programme cette semaine la venue à la Friche de Vincent Macaigne avec une réadaptation de L’Idiot de Dostoïevski. L’occasion de découvrir un dramaturge en vogue qui n’hésite pas à faire des allers-retours entre le cinéma et le théâtre.
Ce qui point chez Vincent Macaigne, c’est une forme de bonhomie, une spontanéité dans le phrasé et la pensée où le langage parlé prend le pas sur l’écrit. Vincent Macaigne affiche une décontraction qui mérite un temps d’attention, parce que le théâtre d’aujourd’hui ne s’écrit plus en alexandrin. Dans L’Idiot, le prince Myschkine s’offre à la bourgeoisie et l’aristocratie dans une candeur qui soulève des sentiments en voie d’extinction. La franchise, l’émancipation, la possibilité d’une transcendance de l’individu, dénuées d’intérêt, dans le pur plaisir d’échanger librement quels que soient sa classe et son rang. L’Idiot est un texte majeur parce que multiple (pas moins de quarante personnages), où chacun éprouve un parcours sans retour dans le cynisme d’une Russie de la fin du XIXe où l’on nait riche ou pauvre, libre ou asservi. Vincent Macaigne prend le parti de transposer tout ce beau monde dans un espace de figuration libre où l’on parle fort, où le graffiti a valeur de slogan : « Guerre à la Suisse ». Les costumes s’affichent dans un libre échange de style et de collage (n’a-t-on jamais vu un homme en slip porter une cravate ?). Dans ce bordel apparent, un monde prend forme, enveloppant les caractères (l’interprète) dans une folie dominante où tout se bouscule et s’entrechoque : on abat le mur du décor pour exprimer un de ras-le-bol qui est la meilleure façon de dire « merde ». On pense inévitablement au Dadaïsme des années vingt. Là, où un monde mutin et caustique a replacé l’homme au centre de ses émotions en abolissant les normes de la convenance et de la représentation. Mais le Dadaïsme servira, du même coup, d’argument au populisme pour rétablir un ordre nouveau en cédant aux sirènes du nazisme. Cette période trouble nous montre à quel point la liberté que l’on a gagnée est vite reprise, dès lors que la pensée cesse d’être multiple et acceptée en tant que telle. D’hier à aujourd’hui, quelle différence ? Nous continuons d’enfiler les guerres comme des perles que l’on accroche à son cou en dénonçant l’imbécilité des autres pour mieux asseoir un monde dominant qui finira inexorablement par exploser à la face de ses contradictions. Et dans cet éternel recommencement, le théâtre trouve sa raison d’exister, profitant lui-même de nos erreurs en imprimant le fil de la mémoire et de l’histoire. L’Idiot est une œuvre majeure, parce qu’elle colle terriblement à l’actualité et nous annonce nos errements de demain.
Karim Grandi-Baupain
Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer : du 17 au 19/10 à la Friche La Belle de Mai (41 rue Jobin, 3e).
Rens. www.lafriche.org / www.theatre-lacriee.com