Indignados (France – 1h30) de Tony Gatlif avec Mamebetty Honoré Diallo, Fiona Monbet…

Indignados (France – 1h30) de Tony Gatlif avec Mamebetty Honoré Diallo, Fiona Monbet…

cine-Indignados.jpg

Inofensivos

Depuis ses débuts, Tony Gatlif s’est obstiné à lutter contre l’injustice, notamment celle que l’Europe fait endurer depuis des siècles au peuple tsigane, avec l’indignation comme moteur perpétuel de son cinéma. C’est donc naturellement que le réalisateur s’est intéressé au best-seller de Stéphane Hessel Indignez-vous !. Mais comment adapter un essai politique au cinéma ? Après une très belle scène d’ouverture où l’on voit une jeune Africaine débarquer épuisée sur une plage de Grèce, on suit son parcours du combattant dans cette Europe qu’elle croyait l’Eldorado. Seule, démunie et rejetée de pays en pays, Betty ne trouvera l’espoir que dans sa rencontre avec le mouvement des Indignados espagnols au cœur de la manifestation monstre de la Puerta del Sol. Tony Gatlif choisit de mélanger fiction situationniste sur fond de révolte réelle, mais la mayonnaise ne prend jamais vraiment. Pourtant, le film propose de très belles scènes qui respirent la poésie et l’audace esthétique. La vision de milliers d’oranges dévalant les rues étroites d’une médina pour représenter la Révolution du Jasmin en Tunisie ou la surprise de Betty, découvrant une danseuse exécuter un flamenco endiablé sous une pluie de tracts dans le décor majestueux de la piscine Molitor, marquent l’œil de façon durable et agréable. Mais ces scènes apparaissent comme des ovnis dans un scénario qui avance en roue libre sans véritable choix de mise en scène. Alors que Tony Gatlif souhaite célébrer ce mouvement populaire, il ne ressort que la vacuité et l’impuissance de ces jeunes en total décalage avec la réelle souffrance que vit l’héroïne. A l’image de la fin, où celle dont le sort provoque une authentique indignation est enfermée seule dans une ville fantôme, tandis que ceux qui se révoltent contre la monstrueuse machine capitaliste ne sont qu’une bande de joyeux inoffensifs. Tony Gatlif, cinéaste de talent par ailleurs, fait bien mieux passer ses messages en nous racontant des histoires qu’en filmant crûment la réalité.

Daniel Ouannou

///////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////

L’Interview
Tony Gatlif

Fin février, l’inlassable défenseur de la cause tsigane était au Variétés pour présenter son dernier film, Indignados. Une adaptation libre du best-seller mondial de Stéphane Hessel, précurseur des mouvements contestataires qui ont essaimé le monde. Rencontre avec un cinéaste engagé.

Comment vous est venue l’idée de porter l’essai de Stéphane Hessel à l’écran ?
J’ai passé une année 2010 très difficile, où j’ai vu les injustices se multiplier. Après le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy (NDLR : discours dans lequel il stigmatisait notamment la communauté rom), la situation s’est détériorée ; j’ai vu de véritables pogroms se multiplier contre les Roms. Je n’avais plus envie de faire du cinéma, d’être dans le système… Et puis un ami m’a fait lire le livre de Stéphane Hessel. Rien que le titre donne envie de se battre. Il amène à une insurrection pacifique. J’ai totalement adhéré aux propos et j’ai cherché à le rencontrer.

Pourquoi avoir choisi de vous intéresser aux indignés espagnols qui manifestaient à Madrid ?
Ce qui m’intéressait, c’est ce qui se passe après le livre. Que vont faire ceux qui l’ont lu ? La réponse, ce sont tous ces jeunes réunis à Madrid, que je suis allé rencontrer et avec lesquels je me suis lié. Je ne souhaitais pas faire un reportage, mais voir des gens qui se lèvent contre l’oppression. J’ai remplacé les entretiens par les slogans qui fleurissaient sur les murs : « Peuple d’Europe, lève toi » ou « Aucun être humain n’est illégal ».

Pourquoi avoir choisi de mêler fiction et réalité ?
J’ai toujours été proche du mouvement situationniste. Guy Debord (NDLR : fondateur de l’internationale situationniste) était mon parrain dans le métier. Je considère ce film comme un ciné-poème. Habituellement, je distille de l’humour pour rendre le propos et le message plus digeste. Mais la gravité de cette situation m’empêchait de mettre de l’humour, alors j’ai mis de la poésie. Mais c’est avant tout un film engagé, qui parle plus de politique que de cinéma.

Parlez nous de votre héroïne, Betty.
Betty est une jeune Sénégalaise que j’ai rencontrée dans un café à Paris et qui joue son propre rôle. Elle est réellement arrivée en bateau sur les côtes grecques pour chercher une vie meilleure. Je voulais un regard extérieur sur cette révolte européenne car le mien était trop intellectualisé. Au fil de ses errances, elle réalise la difficulté de la vie en Europe, et le sort réservé aux étrangers sans papiers. Sur le film, je l’ai très peu dirigée. Je la filmais dans le camp de rétention ou dans les manifestations et je la laissais libre de ses mouvements, de ses dialogues, car elle a connu cette situation.

Quel est le but du film ?
Ce que j’espère, c’est que les gens sortent de la salle et rejoignent les indignés dehors. Il faut se battre contre cette société qui privilégie toujours les riches. Le cinéma au départ, c’est la contestation : Renoir, Eisenstein, Vigo… Mais il s’est endormi. Il est temps de renouer avec la lutte. Et il suffit qu’un groupe se lève pour que tout le monde en fasse autant.

De quel traitera votre prochain film ?
Je ne sors pas complètement du thème car j’ai envie de parler de la non-violence. Le monde est très violent, de plus, il y a une image glamour de la violence véhiculée par la télévision qui est insupportable. Ce sera une pure fiction ; j’ai déjà commencé à l’écrire.

Propos recueillis par Daniel Ouannou