Inland Empire – (USA – 2h58) de David Lynch avec Laura Dern, Justin Théroux…
Chez David Lynch, depuis vingt ans et l’ensablement Dune, les personnages vont par deux, question d’arithmétique. A chacun sa chacune, son double, sa moitié ou son pendant. Le héros lynchien se multiplie ou se divise, question de (sur)vie(s) ou de mort… (lire la suite)
Les toiles de David
Chez David Lynch, depuis vingt ans et l’ensablement Dune, les personnages vont par deux, question d’arithmétique. A chacun sa chacune, son double, sa moitié ou son pendant. Le héros lynchien se multiplie ou se divise, question de (sur)vie(s) ou de mort. La maman et la putain (Isabella Rossellini) de Blue Velvet. La complémentarité « sex, drugs & Rock’n Roll » du couple Nicolas Cage/Laura Dern de Sailor & Lula. Les pics jumeaux de Twin Peaks et leur galerie de freaks à la bipolarité prégnante — dont Laura Palmer/Maddy (Sheryl Lee) et Leland/Bob sont les figures de proue. Le charme vertigineux et hitchcockien d’Alice/Renee (Patricia Arquette) dans Lost Highway. Alvin (Richard Farnsworth), le papy d’Une histoire vraie, à la recherche de son frère et alter ego. Et bien entendu, Rita et Betty (Laura Harring et Naomi Watts), les starlettes incandescentes et sensuelles de Mulholland Drive. Ainsi d’Inland Empire et du double rôle incarné par Laura Dern, nouveau laboratoire de David Lynch et long traité de manipulation à l’usage exclusif des convertis. Inland Empire ne se raconte pas, échappant à toute logique de l’exercice de la critique. Inland Empire se vit, se regarde, s’écoute et surtout se ressent. Film-somme, film-bilan, film-labyrinthe, film-monstre, film-expérimental, Inland Empire raconte moins les sept derniers jours de Laura Dern que l’histoire du cinéma de David Lynch. En effet, toutes ses œuvres (d’Eraserhead à Mulholland Drive), toutes les obsessions (les mécanismes de la peur, de l’angoisse, du malaise, du sexe), tous les motifs (le décor, industriel ou hollywoodien, la surface et ses aspérités rhizomiques, l’absurde, la femme dans tous ses états, le personnage mystérieux et omniscient, le feu, la bouche) sont ici convoqués, réunis dans une longue et brillante rétrospective via une relecture en DV. A l’instar de ses deux prédécesseurs qui, à l’aune de ce nouvel éclairage (tromboscopique), paraissent désormais fluides et limpides, Inland Empire éprouve le système du ressassement, de la répétition, de la boucle, du ressac, de la rime, de la porosité, jusqu’à saturation. Les fans, purs et durs, adoreront le dernier mille-feuilles pictural et musical de Lynch. Les profanes abhoreront. Question d’habitude.
Henri Seard