Inside Moebius – L’alchimie du trait à l’Hôtel des Arts
La science de la fiction
Après une première rétrospective consacrée à Enki Bilal en 2014, l’Hôtel des Arts de Toulon accueille un nouveau nom fort — le mot est faible — de la bande dessinée : depuis le 21 octobre, l’exposition dédiée à Jean Giraud (alias Moebius) a de quoi attirer, outre les amateurs de bulles et de science-fiction, tous les aficionados du trait et de la belle image.
On ne présente plus Moebius, auteur et dessinateur de science-fiction, cofondateur du magazine Métal Hurlant, incontournable tant par son travail en lui-même (bien qu’il touche a priori à un genre précis) que par l’influence qu’il continue à avoir sur le monde de la bande dessinée et de l’image.
Le nom de Jean Giraud est peut-être moins familier : il s’agit pourtant du vrai nom de Moebius, celui sous lequel il a signé toute la première partie de son œuvre, commencée dans les années 60 avec la série de BD western Blueberry (bien différente tant par le genre que par le style de l’œuvre de science-fiction qui suivra). C’est sur cette période que s’ouvre l’exposition, à travers une salle consacrée qui tend à montrer l’évolution du personnage via des planches originales, dont certaines colorisées par l’auteur. Déjà, le réalisme du dessin, la précision des détails et la finesse du trait s’affirment comme éléments constituants du style graphique de l’auteur, et ressortent particulièrement bien exposés à grande échelle.
La suite de l’exposition interroge la transition vers le personnage de Moebius, ses œuvres premières et, plus largement, un questionnement autour de la notion d’identité au travers d’autoportraits. On y retrouve les dimensions fondamentales de l’œuvre de Moebius : une grande introspection, une dimension ésotérique ainsi qu’une attirance pour le fantastique, l’humour et l’abstraction.
On découvre ensuite, entre autres, des citations d’une série de gravures de Gustave Doré sur La Divine Comédie de Dante : Moebius y reprend méthodiquement la composition des images pour y apposer son univers chromatique. En résultent des images étonnantes, universelles dans le sens où le discours transcende l’univers de la bande dessinée, et où le poids mythologique se voit sublimé par le modernisme de l’interprétation (indéniablement réussie) de Moebius.
On s’élève à l’étage avec la découverte du Monde d’Edena (dont certaines planches originales directement colorisées), au départ une commande de Citroën qui s’est transformée en série, exprimant un questionnement de l’auteur autour de « la nutrition, l’écologie, l’environnement, la réparation, la transformation, le rêve et la spiritualité ».
Une série de petites peintures abstraites — des formes à la fois organiques et technologiques — fait suite et précède les salles dédiées à Arzach, personnage emblématique de la science-fiction, à la fois individu hybride aux contours un peu flous et figure archétypale du guerrier solitaire. Tout se termine (ou recommence) sur le Monde du Garage Hermétique, œuvre dense et complexe dans laquelle Moebius pousse de plus en plus loin ses questionnements métaphysiques via une multiplicité de mondes emboîtés et intriqués.
L’exposition joue donc sur une impressionnante traversée d’univers de par la richesse et la largesse des niveaux qu’elle invoque, formant un ensemble volubile, dense, mouvant, à l’instar du ruban éponyme, revenant sans cesse à des questionnements centraux pour repartir vers de nouvelles boucles.
Estelle Wierzbicki
Inside Moebius – L’alchimie du trait : jusqu’au 21/01/2018 à l’Hôtel des Arts (Toulon).
Rens. : 04 94 91 69 18 / www.hdatoulon.fr