Aude Portalier © Lucille Bosgiraud

L’entretien | Aude Portalier

Arrivée il y a trois mois à la direction du Conservatoire Pierre Barbizet de Marseille, Aude Portalier prend la suite de Raphaël Imbert, devenu directeur général de l’INSEAMM(1) en octobre dernier. Recueil de ses premières impressions et de ses aspirations quant au développement de l’établissement afin qu’il devienne plus accessible.

 

 

Pianiste de formation, cela fait maintenant dix ans qu’Aude Portalier a mis la pratique du piano de côté pour s’investir pleinement dans ses missions de directrice de conservatoire, d’abord à Créteil jusqu’à tout récemment, avant de prendre ses fonctions dans la cité phocéenne. Plongée dans le grand bain de l’activité habituelle d’un conservatoire, elle prend ses marques entre une activité dense — du festival Oh les Beaux Jours ! aux festivités des J.O., en passant par la Fête de la Musique à la Citadelle — et de nouveaux projets pédagogiques à mettre en place.

 

Quelles sont vos premières impressions depuis votre arrivée à Marseille ?

Ma première impression, c’est le fait d’arriver dans une très grande ville ! Concrètement, ça change la vision culturelle qu’on peut avoir, en termes de bassins de population, de dynamiques culturelles… Il y a à Marseille un potentiel de partenaires… infini, je dirais bien (rires), par rapport à ce que j’ai pu vivre jusque-là.

Et ce qui me vient comme ça, au regard de trois mois de côtoiement de l’équipe, des élèves et du Conservatoire, c’est l’image d’un bijou dans un écrin… mais l’écrin est fermé. Il y a un fort potentiel, mais qui finalement n’est peut-être pas assez visible, pas assez offert à tous.

Je rencontre des professeurs extrêmement compétents, des gens très motivés, qui aiment ce qu’ils font, et c’est assez touchant parce que ce n’est pas toujours le cas ! Mais c’est un conservatoire qui reste un peu dans une ancienne façon de penser les choses ; l’équipe a envie d’autre chose aussi, et c’est une heureuse surprise. Il y avait un entre-soi, qui fonctionnait très bien, mais il y a maintenant cette envie de reconnaissance nationale, en sortant de cet entre-soi et d’un certain conservatisme.

 

Raphaël lmbert avait d’ailleurs identifié cet entre-soi, en donnant une impulsion qui commence peut-être à bouger les lignes…

Bien qu’il soit arrivé au moment du covid, Raphaël a ouvert les portes ; ça bouge dans tous les sens de ce côté-là, beaucoup d’évènements se passent au Palais Carli, qui lui-même sort de ses murs. Mais ça, c’est le côté diffusion, spectacles… Maintenant, il s’agit de s’attaquer à l’enseignement, et il n’est pas resté assez longtemps pour pouvoir le faire évoluer ; c’est là que je sens vraiment ma mission. Et l’équipe est prête à ça. Raphaël Imbert a entrouvert l’écrin… Maintenant, il faut que je lustre le bijou pour que ça brille ! Que le public qui vient au Conservatoire se diversifie, qu’on ouvre sur tout ce qui est numérique… qu’on s’ancre dans le 21e siècle (rires).

 

Avez-vous en tête des projets pour que ce rayonnement opère, dans cette envie de voir le Conservatoire un peu plus ancré dans le « monde actuel » ?

Je n’ai pas encore de choses très concrètes vu que ça ne fait que trois mois que je suis là. J’ai présenté un projet pour arriver, j’ai rencontré l’équipe, et maintenant il s’agit de faire le lien entre les deux, sachant qu’il y a aussi des textes nationaux du ministère à mettre en œuvre, dont un sorti cette année. Il s’agit de diversifier les publics, et les propositions de cursus aussi, plus ou moins légers selon l’envie de chacun de s’investir dans un apprentissage.

Ce que j’aimerais mener un peu plus loin ici, c’est le lien à la création. C’est la mission première des Beaux-Arts, avec lesquels nous sommes désormais associés au sein de l’INSEAMM, tandis que le Conservatoire est plutôt dans la transmission de répertoire. Pour l’instant, les classes de composition sont en général accessibles aux jeunes adultes qui ont l’envie de devenir compositeur·ice. J’aimerais aussi que les élèves soient amené·es à côtoyer la création dès le plus jeune âge. Ça, c’est quelque chose auquel je crois beaucoup.

 

Et pour le département théâtre, jusque-là un peu moins développé, y a-t-il une volonté de proposer plus d’art dramatique ?

Je viens d’un conservatoire à Créteil où le département théâtre est extrêmement développé : on passe de deux cent cinquante élèves à Créteil en théâtre à quarante à Marseille, j’ai envie que ça puisse se dynamiser. Et quand je vois la richesse théâtrale qu’il y a à Marseille, il y a des pistes pour renouveler les partenariats. En plus, c’est un dossier que j’apprécie particulièrement, aussi par les postes que j’ai eus précédemment, et travailler avec les gens de théâtre est passionnant en termes de transversalité ; c’est intéressant puisque ce sont des gens qui savent chanter, jouer d’un instrument, danser… c’est donc un projet à développer !

 

Par rapport au rayonnement sur la ville, est-ce que vous identifiez des enjeux particuliers, justement du fait que le palais Carli soit assez central ?

Je me suis beaucoup posé la question en arrivant à Marseille. À Créteil, il y a 90 000 habitants, à Marseille on va dire environ dix fois plus, avec un nombre identique d’élèves et d’enseignants. Comment fait-on, avec le même type de structure, pour permettre à dix fois plus d’habitants d’y avoir accès ? Et quelle qu’elle soit, je me suis dit qu’il fallait travailler sur la forme pour que quasiment 900 000 personnes puissent avoir un contact au Conservatoire, sans nécessairement que tous suivent un cursus pour devenir professionnels mais en tout cas avoir accès au Palais Carli qui est central absolument… Il y a un bel enjeu ! J’évoque beaucoup l’idée de « faire venir ou aller vers » : comment le Palais Carli peut aller vers les gens et en même temps faire venir les gens justement parce qu’il est au centre de Marseille.

 

C’est vrai que c’est pour vous vraiment les prémices… et plutôt le moment des projections !

Oui, nous avons des dispositifs comme l’orchestre Démos(2), avec la Philharmonie de Paris par exemple qui est une passerelle géniale. Une centaine de jeunes à Marseille bénéficie de ce dispositif, et on s’est engagé à les intégrer au Conservatoire l’année prochaine. On va vers des jeunes qui n’auraient pas cette accessibilité, parce que même si c’est central, ça reste éloigné de certains quartiers, ne serait-ce que géographiquement. On travaille à leur proposer un cursus au Conservatoire, et peut-être pour certains de façon délocalisée, avec des classes aménagées, pour que ça ne soit pas une barrière non plus. J’avais cette habitude à Créteil. Maintenant, il faut que politiquement ce soit cohérent, au niveau géographique et social, parce que l’idée n’est pas de parachuter des dispositifs à droite à gauche.

 

Qu’est-ce qu’implique la fusion (depuis2020) des trois structures que forme l’INSEAMM ?

Je parle avec trois mois de recul… Avec les Beaux-Arts pour l’instant c’est balbutiant, on apprend à savoir qui on est, comment on fonctionne, etc. On est en train d’imaginer ce qui pourrait faire projet commun et innovant, entre productions d’images et créations sonores/enregistrements. Dans toutes les créations artistiques que l’on voit dans des spectacles ou des performances, les artistes savent faire plusieurs choses, donc c’est vraiment dans ce sens-là que j’aimerais pouvoir former les élèves du Conservatoire. Avec l’IFAMM, localisé dans le Conservatoire, le travail est déjà beaucoup plus avancé en termes de collaboration, puisque ce sont plutôt eux qui gèrent les projets en partenariat avec des festivals comme Oh les beaux jours ! ou Music & Cinema. Maintenant, il me semble que pour structurer un apprentissage, il s’agit de hiérarchiser un peu les choses… mais vaut mieux avoir trop de choix que pas assez !

C’est trop tôt pour un bilan, mais en tout cas ça démarre vraiment bien, avec une équipe qui a envie d’avancer. Et puis Raphaël a ouvert beaucoup de portes et c’est assez facile de me sentir intégrée.

 

Ça fait un peu plus de deux cents ans que le Conservatoire existe, vous êtes la première femme à en être directrice, sentez-vous que les représentations bougent de ce point de vue dans les institutions et le milieu musical ?

Je peux dire des banalités… qu’il était temps ! J’ai mis du temps à comprendre que c’était important finalement ; je sais que j’ai été prise dans des jurys divers et variés parce que j’étais la caution féminine et je ne l’ai pas toujours bien vécu d’ailleurs… mais je l’assume maintenant, parce qu’en effet, c’est grâce au fait que des femmes puissent prendre ce genre de poste que ça rend visibles les choses, qu’on en parle, etc. Maintenant, quand bien même à Marseille on m’aurait choisi parce que je suis une femme… et bien tant mieux ! J’assume de rejoindre les deux : les compétences et le fait que je sois une femme. Et c’est aussi une femme à la direction des Beaux-Arts, Inge Linder-Gaillard. Et dans les Conservatoires ça bouge rapidement : quand je suis devenue directrice à Créteil, sur quarante-quatre établissements, on était cinq directrices femmes, et depuis j’ai plusieurs collègues qui ont été nommées ; il y a une dynamique vertueuse, assurément !

 

Sujet plus délicat pour vous qui arrivez au Conservatoire : des plaintes avaient été déposées contre une professeure de chant, y a-t-il des avancées quant à la suspension de l’activité de cette personne et des suites judiciaires ?

Pour l’instant, il y a eu une enquête judiciaire et nous sommes tous en attente du résultat de cette enquête… Si j’ai bien suivi, avant que j’arrive, elle avait été suspendue puis réintégrée. C’est d’ailleurs très inconfortable puisque tout le monde attend ce résultat pour prendre des décisions en conséquence. Pour l’instant, on est dans une espèce de suspension, et donc oui, sujet délicat quand je suis arrivée et en même temps suspendu… Il y a régulièrement des bouffées d’agacement en attendant ce résultat, pour les élèves qui sont toujours en cours, et pour l’enseignante qui donne toujours cours également.

 

(Aude Portalier avoue être étonnée que l’on n’ait pas encore abordée la grande question) : et alors, pourquoi Marseille ?

C’est vrai que c’est le premier sujet quand je rencontre des gens que je ne connais pas, c’est la question habituelle depuis trois mois ! En fait, je suis née à Marseille, et cet attachement au fait que je sois née ici a aidé à mon intégration, on va dire. Ici, j’avais tous mes grands-parents, j’y venais souvent en vacances, j’ai des atomes très crochus avec Marseille. Et je m’étais dit un jour que si le poste était vacant, je postulerais. (Elle sourit que le fait d’être née ici facilite et détende parfois les échanges et discussions avec ces nouveaux collègues au sein de Conservatoire, ndlr)

 

Il pourrait y avoir des freins humains, financiers… ?

Oui, parfois, quand on amène trop de changements ça peut freiner un peu, et puis dans la culture en ce moment, on n’a quand même pas des budgets qui se développent…Heureusement qu’on est nous tous convaincus que la culture aide à former de meilleurs citoyens, mais tout le monde n’en est pas toujours convaincu !

 

Et le piano reste une pratique quand même personnelle ?

Franchement très peu, ça me manque virtuellement, c’est quand même une pratique que j’ai fortement menée pendant un certain temps… mais le métier de directrice me passionne suffisamment. Après, je suis maman d’un bébé de dix-huit mois, et me dire qu’elle ne m’entend pas jouer du piano me pose question. Donc je vais faire en sorte que le piano revienne un peu plus régulièrement dans ma vie, c’est un moteur supplémentaire.

Dans le bureau de la direction au Conservatoire, il y a deux magnifiques pianos Steinway… Je trouve que c’est un appel du pied, donc ça viendra (rires)… Voilà vous savez tout !

 

Propos recueillis par Lucie Drouot

 

Rens. : esadmm.fr/conservatoire/presentation/presentation/

www.facebook.com/conservatoirepierrebarbizet

Les prochains rendez-vous au Conservatoire de Marseille ici

 

 

Notes
  1. L’Institut national supérieur d’enseignement artistique Marseille-Méditerranée regroupe trois entités : le Conservatoire, les Beaux-Arts, et l’Institut de formation artistique (IFAMM).[]
  2. Le projet Démos permet à 105 enfants âgés de 7 à 12 ans et résidant dans différents quartiers relevant de la Politique de la Ville de Marseille de découvrir la musique classique, et favorise ainsi l’accès à la pratique orchestrale. Source : https://demos.philharmoniedeparis.fr[]