Le jazz déboîte
Le chroniqueur de jazz n’aura de cesse de se réjouir lorsque, enfin, arrive l’heure du fédérateur Jazz sur la Ville, véritable compilation des fondamentaux du jazz made in Marseille. Mais pas seulement.
Etalé sur vingt lieux, ce festival est une sorte d’ancrage qui n’oublie pas les virtualités populaires de la musique qu’il promeut. Ainsi, notons la floraison de propositions dans les bibliothèques et médiathèques de la cité, telle les prestations gratuites de la suave Regina Celia au Merlan, ou du sémillant saxophoniste Daniel Huck à la bibliothèque des Cinq Avenues, voire du très marrant et sérieux French Project d’Alice Martinez (ah !, son « éloge des cagoles »…). Evidemment, l’Alcazar s’imposera comme l’épicentre de ce séisme automnal, en proposant en particulier une conférence-débat avec les auteurs de l’ouvrage A Fond de Cale, Michel Samson et Gilles Suzanne, dont on espère qu’ils cloueront enfin le bec aux tenants d’un jazz embourgeoisé comme il peut se manifester l’été.
Nombre de prestations se feront d’ailleurs à prix convenables, notamment à la Friche, où le festival croisera le chemin de son homologue soul Tighten Up. De cette rencontre, qui sait, émergeront des blue notes enveloppées de groove, histoire de ne pas oublier que le jazz est une musique de danse. Mais loin d’être populiste, Jazz sur la Ville apparaît comme une insurrection artistique dès ses soirées d’ouverture, concentrées, comme il se doit, dans le troisième arrondissement, territoire de lutte des classes. C’est d’ailleurs au Rouge Belle de Mai, véritable point de ralliement, que s’est tenue la conférence de presse…
Le jazz à Marseille est plus que jamais ouvert aux vents internationaux et à l’exigence artistique. La convergence de musiciens émergents originaires de pôles incongrus (Arménie, Portugal) avec d’autres emblématiques (New York – on pense notamment à la saxophoniste Lakecia Benjamin), témoigne de la persistance d’un creuset jazz phocéen, dont les porteurs du festival ont conscience. L’historicité, ce mouvement de l’histoire sur elle-même, dont le jazz est friand, est une particularité de ce nouveau millésime. Ainsi, plusieurs musiciens annoncés furent les sidemen de Chet Baker, à l’instar de Riccardo Del Fra, qui offrira un concert-conférence sur l’histoire de la contrebasse dans le jazz, ou encore les frères Florens, pour un hommage au genre West Coast, loin d’être édulcoré comme on le croit trop souvent. L’universalité jazzistique phocéenne sera dans tous les cas assurée par le fabuleux duo Etenesh Wassié/Mathieu Sourrisseau. Ce dernier, bassiste au sein de l’ensemble toulousain de free Le Tigre des Platanes, a persuadé la première, chanteuse éthiopienne trad’ ouverte aux expérimentations les plus dingues, de se produire dans une formule tellurique. Car s’il y aura bien un instant paradisiaque, ce sera en compagnie de cette Eve abyssinienne, dont la voix n’en finit plus de nous faire voyager.
Laurent Dussutour
Du 4 au 26/10 à Marseille.
Rens. www.jazzsurlaville.com / facebook.com/jazzsurlaville
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