Jeanne Susplugas – Désordre, chapitre 1 au Château de Servières
L’aventure intérieure
Au Château de Servières, Désordre est le premier chapitre d’une exposition en deux parties consacrée au travail de l’artiste Jeanne Susplugas. En avril, on retrouvera l’artiste au Centre d’Art contemporain d’Istres pour ce projet coproduit par les deux institutions.
C’est avec surprise que l’on découvre un désordre plutôt bien rangé lorsqu’on entre dans les salles du rez-de-chaussée du 19 boulevard Boisson. C’est au fur et à mesure de notre déambulation dans l’espace que l’on perçoit des éléments qui ne semblent pas tout à fait à leur place et qui font naitre cette sensation désordonnée. On comprend, ensuite, que ce mot « désordre » ne fait pas seulement écho à l’organisation des objets, mais s’avère souvent plus profond, plus intime.
L’exposition est composée de différents médiums, des installations et des sculptures, parfois monumentales et parfois maxi-mentales, des dessins, des films, une photographie en noir et blanc, quelques-unes en couleurs… L’espace est presque labyrinthique, les cimaises forment des angles obtus, qui rappellent des schémas scientifiques présents dans certaines images. Notre corps est désorienté, trimballé constamment entre le dehors et le dedans. Celui de l’espace domestique, bien sûr, mais aussi de l’espace mental.
Tantôt on est dans un intérieur, face à un grand buffet en céramique d’une blancheur immaculée. Les jattes de fruits et quelques bougies et bouteilles promettent un repas faste et convivial, jusqu’à ce qu’on découvre, parmi les citrons et les noix, des emballages de cachets, des boîtes rondes de comprimés qui viennent semer le doute sur ce qui nous nourrit vraiment. Tantôt on est à l’extérieur d’une énorme maison de poupée ou de Playmobil®, un peu en équilibre. Des objets, qui semblent eux aussi être passés par Chérie, j’ai agrandi le bébé, sont reliés à la maison par des fils. Une gigantesque clef, un canif immense, un revolver démesuré, une boîte de médicaments format carton de déménagement…
On comprend, comme face au buffet, que par cette inquiétante étrangeté — pour reprendre le terme freudien —, il s’agit de sous-entendre la violence qui nous lie à nos propres faiblesses ou addictions. Comme cette phrase lumineuse au mur, citation de Marie Darrieussecq, « L’aspirine, c’est le champagne du matin », que l’on entend presque avec des bulles effervescentes et qui rappelle certains lendemains de soirée un peu trop arrosés. D’autres extraits et textes composent l’exposition, comme celle empruntée à Beigdeber autour du Lexomil, gravée finement sur une série de flacons médicaux. Comme l’évoquent les dessins de neurones colorés, dans ce rêve à moitié éveillé, l’espace mental est peut-être alors un lieu plus désordonné que l’espace physique.
Avec poésie et subtilité, Jeanne Susplugas prescrit avec cette proposition une bonne dose de questionnements autour de nos modes de vies, de ce qui nous enferme sur nous-mêmes, face aux autres ou au sein de la société. Ressortira-t-on avec la même ordonnance de Disorder in the house, second chapitre de l’exposition au Centre d’Art Contemporain d’Istres ? Rendez-vous le 26 avril.
Mathilde Ayoub
Jeanne Susplugas – Désordre, chapitre 1 : jusqu’au 11/04 au Château de Servières (19 boulevard Boisson, 4e).
Rens. : http://chateaudeservieres.org
Pour en (sa)voir plus : www.susplugas.com