Jumel, du 12 au 19/11 au Théâtre de la Minoterie
Les dents de l’A(j)mer
Portée par un tandem de comédiennes taiwanaises, la dernière création de Franck Dimech confirme l’intérêt du metteur en scène pour l’oralité via un texte exigeant, où ce qui se joue est de l’ordre de l’expérience de théâtre. Une cérémonie intime, où le personnage principal semble bien être… le texte.
« Finis-moi ce petit bout ! Et allons nous coucher ! » Cette phrase impérative, impatiente, c’est Juan Uen-Ping qui la prononce. Tendue, frémissante, la comédienne fait face à sa partenaire, Chou Jung-Shih. Nous sommes à une semaine de la première de Jumel, en pleine répétition. L’atmosphère est recueillie, concentrée et… tendue. Peu de lumière : deux projecteurs éclairent l’espace scénique encore en chantier et les quelques éléments de décor. Franck Dimech, assis dans l’ombre, rectifie patiemment les déplacements sur scène des actrices, les invitant aussi à s’interroger sur le travail accompli la veille. « Chacun a sa place », explique t-il. « Il existe chez ces actrices un rapport singulier à l’autre en face : leur partenaire ou le metteur en scène. Un rapport très professionnel, lié à cet objet de théâtre que nous fabriquons ensemble. » L’objet en question, c’est la mise en scène d’un texte de Fabrice Dupuy, où deux femmes s’affrontent, se parlent, mangent, dépouillent des hommes et « se dévident dans la parole ». Elle se ressemblent : sont-elles sœurs, mère et fille, amies ? Ou tout cela à la fois ? Ici, la bouche devient l’orifice clé où tout se passe. Une bouche où la langue est « en perpétuel état de guerre ». Des bouches qui parlent, mangent, régurgitent et ré-avalent. Et ne sont pas sans évoquer l’apprentissage chez les enfants qui, découvrant la parole, répétant les mots qu’ils entendent, l’utilisent comme outil de reconnaissance du monde, y portant les objets pour les identifier. Dans ce texte, les mots semblent un matériau en transit. Broyée, fragmentée, la syntaxe y est parfois malmenée. « Dupuy aime beaucoup la musique punk et notamment les Sex Pistols qu’il a beaucoup écoutés. On retrouve dans la langue qu’il écrit cette stridence propre au punk. Une langue dissonante, faite d’images collées les unes aux autres, fabriquant une électricité, une tension. » Car ces deux actrices étrangères ont effectivement en bouche une langue française au service d’un texte ardu. « La langue française bat dans leur bouche et résonne donc autrement. Elles sont déterminées à être entendues et cet engagement dépasse la signification des mots. » Ce qui bouleverse, c’est effectivement de les sentir en lutte. « Mais c’est une belle bataille. » La notion de progrès, physique, se sent dans leur travail de répétition : elles font, re-font, dé-font, jusqu’à la finalité d’un objet qu’on attend avec impatience.
Bénédicte Jouve
Jumel : du 12 au 19/11 au Théâtre de la Minoterie (9/11 rue d’Hozier, 2e).
Rens. 04 91 90 07 94 / www.minoterie.org