Kalash de Uwe Boll, avec Jason Statham, Samy Naceri et Marion Cotillard
Tourné en gâchette
La dernière superproduction d’EuropaCorp, Kalash, est une uchronie qui se déroule dans un Marseille (plus ou moins) fictionnel dans lequel le trafic de drogue est plus générateur de rires que de drames. Un film surprenant, à plus d’un titre.
Ces dernières semaines ont été marquées par le bad buzz entourant la prestation de Samy Naceri dans un clip dans lequel on peut le voir slammer sa rédemption et déclarer prendre Une seconde chance sur la vie et ses conneries passées. Perfectible dans son style (le flow est mal assuré et le recours systématique à la rime usant), cette déclaration sincère, voire touchante, a obtenu une réception publique mitigée, les internautes s’en donnant à cœur joie dans la raillerie.
Cependant, cette sortie en demi-teinte n’était que l’arbre qui cache la forêt. En effet, en lieu et place d’une intention des plus pures, le pot aux roses a depuis été découvert (ou déterré, pour rester dans le langage jardinier) : le clip était en fait destiné à accompagner la promotion du film Kalash, dans lequel Samy Naceri joue le rôle de Bertrand, le grand frère qui viendra prêcher la tolérance, la paix et la foi auprès des jeunes de son quartier après avoir passé douze ans de sa vie en prison, où il a découvert la plénitude par la pratique du bouddhisme.
Dans le rôle principal du film, Jason Statham — déjà vu dans Le transporteur — y campe Marius, un jeune homme de dix-sept ans vivant dans une cité marseillaise. Intelligent, sensible, talentueux mais un peu perdu, l’ado barbu est sur le point de basculer dans la délinquance, attiré par l’argent facile et la soif d’aventure (d’où la fameuse Kalash du titre). Pour l’occasion, l’acteur britannique a beaucoup travaillé la langue française, afin d’incarner au mieux un personnage à l’accent marseillais très (trop ?) prononcé. Le résultat est pour le moins déconcertant, notamment lorsque son fort accent british se mêle à des expressions marseillaises de pur jus.
Egalement à l’affiche, l’incontournable Marion Cotillard joue pour sa part Sarah, un personnage auquel elle semble s’être particulièrement attachée, comme en témoigne une interview pour le site Allociné datant de février dernier : « Le rôle qui m’a été proposé pour Kalash est très touchant, car j’y incarne une jeune juive qui tombe amoureuse de Kader, qui est musulman (et accessoirement l’un des leaders/dealers du quartier). Leur amour est impossible, mais c’est grâce aux conseils avisés de Bertrand, et surtout au courage dont font preuve au quotidien Marius et son petit ami Kendji (un gitan résidant dans le camp voisin de la cité, qui tente de vivre de sa musique), qu’ils parviendront à trouver la force de s’affirmer dans cet environnement difficile et à passer outre les épreuves culturelles et religieuses pour s’aimer librement. »
Le reste du casting est à l’avenant : tous les acteurs et figurants sont parisiens et jouent l’accent marseillais, certains avec réussite, d’autres moins. Interrogé sur la question, le réalisateur (Uwe Boll, spécialiste des action movies de séries B à Z) a signifié s’être inspiré de la seule création cinématographique française populaire récente à laquelle il s’est intéressé, Plus belle la vie : son conseil technique auprès d’EuropaCorp l’a informé que cette dernière connaît un succès sans pareil, malgré le fait qu’aucun de ses acteurs ne semble issu de la cité phocéenne, et que reproduire ce schéma pourrait attirer plus de monde dans les salles, l’accent marseillais n’étant pas particulièrement vendeur (d’après un récent sondage TNS Sofres, 64 % des Français trouvent l’accent marseillais vulgaire car trop prononcé, avec un record de 83 % dans les Hauts-de-France).
Pour des raisons tout aussi surprenantes, la production du film a dû être délocalisée, passant des cités de Marseille aux studios parisiens d’EuropaCorp. Le tournage s’est déroulé sur fond vert, les bâtiments de diverses cités de Marseille (la Castellane, Font-Vert, la Cayolle ou encore la Busserine) ayant bénéficié d’une incrustation numérique par la suite. Les scènes extérieures, pour leur part, ont été filmées… à Neuilly, Uwe Boll trouvant que le décor naturel de cette ville rappelle celui de la capitale des Bouches-du-Rhône. Interrogé par le magazine Studio sur ce point, l’intéressé n’a pas manqué de délivrer sa vision particulière des choses : « Je ne connaissais pas Marseille, j’en avais entendu le plus grand mal en regardant un reportage sur Fox News, mais j’ai quand même tenu à m’y rendre avec mon directeur de la photographie afin d’y faire des repérages. Ce que j’y ai trouvé était édifiant et m’a mis mal à l’aise : des bâtiments insalubres, une jeunesse errant au pied des immeubles, des motards non casqués faisant du weeling ; on ne voit pas ça aux Etats-Unis. J’ai appelé Luc (Besson) pour lui demander de trouver une solution de toute urgence et il m’a proposé de venir tourner à Paris, ce qui m’arrangeait car ma femme voulait voir la tour Eiffel et le Louvre. Et puis, Paris est la capitale de la France, c’est quand même une ville bien plus riche que Marseille. »
Cette cascade de lieux communs et de choix stratégiques abracadabrants laisse augurer du pire, et pourtant la sauce prend. En passant outre les clichés du scénario, les acteurs semblent s’amuser dans ce Marseille de pacotille, les scènes d’action s’enchaînent à toute vitesse et l’heure et demie passe très rapidement, sans que la lassitude ne pointe son nez. On pensait sortir atterré du visionnage mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, nous ne pouvons qu’applaudir à deux mains la réussite populaire que risque de devenir ce film d’action décomplexé, bourré d’hormones et de bonnes intentions dont on se souviendra longtemps. On n’est finalement pas passé loin du chef-d’œuvre. Chapeau à l’équipe de production pour ces choix courageux et ce pari réussi, dont ils ne sortiront que grandis.
Abrile Foule
Kalash de Uwe Boll, avec Jason Statham, Samy Naceri et Marion Cotillard, à l’affiche courant 2016.
Rens. : www.europacorp.org
Une seconde chance, le clip de Samy Naceri