Afrodisiaque
Passons sur la promo de son album, le concert affiche complet. Et risquons-nous à cette thèse : Keziah Jones est-il le futur de la musique africaine ?
Petite devinette : de Femi ou Seun, qui est l’héritier le plus plausible à Fela Kuti, grand maître de l’afro-beat ? Réponse : ni l’un ni l’autre. A moins de considérer la transe cuivrée des deux fistons comme quelque chose d’encore révolutionnaire, alors qu’elle ne fait que fidèlement retranscrire la recette du paternel, c’est en réalité Keziah Jones qui reste le mieux placé pour propulser musicalement (et enfin) le Continent noir vers le troisième millénaire. Certes, l’inventeur du « blufunk », apparu tel un ovni il y a déjà… dix-sept ans, ne semble à première vue pas équipé pour ce challenge : c’est un fils de bonne famille qui a étudié en Angleterre, et le spectre musical qu’il balaie ne se réduit pas à la seule pulsation afro telle que définie par Fela. D’un funk fusion qui a défini son style de guitariste (ou de percussionniste devrait-on dire) à la soul baignée d’accents ancestraux qu’il pratique aujourd’hui (et qui lui a valu de renouer avec le succès après un léger passage à vide), le Nigérian a choisi d’emprunter une voie « occidentale » pour se façonner une patte. Seulement voilà : il est l’un des derniers grands virtuoses à vouloir dresser un pont entre ses racines et le futur, à pouvoir proposer quelque chose de réellement neuf en matière de musique africaine — puisque celle-ci reste le fondement même de son art. En studio, son travail sur les chœurs est à ce titre sidérant : on y entend l’écho de tout un peuple, ou plutôt son âme, quelque chose d’inné qui aurait traversé les siècles pour trouver son expression dans ce corps longiligne, dont chaque mouvement suinte le rythme, chaque souffle exhale la spiritualité. Quelque temps avant sa mort, Keziah Jones avait eu le privilège de s’entretenir avec Fela (1). Il en a gardé une vision, et ses deux derniers albums, quoique très personnels, sont des hommages à peine masqués au « Black President ». Alors bien sûr, l’auteur de Rhythm is love s’est pour l’instant montré un peu trop désinvolte pour reprendre dignement le flambeau : il laisse passer trois ou quatre ans entre chaque album, et son succès en France pourrait facilement l’inciter à vivre sur ses acquis, à laisser la production de ses albums à des pontes du r’n’b, à livrer des prestations millimétrées pour un public de bobos (ce sera certainement encore le cas cette fois-ci). Reste que le concert donné le 10 mai 2000 au Théâtre du Moulin, ici même, laissait présager autre chose : après une heure passée à jouer avec les nerfs du public, sans l’ombre d’un hit, il s’embarquait dans une longue jam afro-futuriste, avec pour seuls acolytes un batteur et un percussionniste. Ce soir-là, sans orchestre ni discours, Keziah Jones ne cherchait pas à reproduire les canons de l’afro-beat. Il était l’afro-beat.
PLX
Le 31 au Dock des Suds avec Krystle Warren en ouverture, 20h30. Complet.
Dans les bacs : Nigerian wood (Because)
www.keziahjones.com
- Le magazine Vibrations avait publié cette interview en 2003.[↩]