Armor de Kubra Khademi © Naim Karimi

Kharmora – L’Afghanistan au risque de l’art au Mucem

Complètement Kaboul

 

Le Mucem met l’Afghanistan à l’honneur dans une exposition permettant tout à la fois de découvrir une nouvelle génération d’artistes et de saisir les enjeux de la création dans un pays encore marqué par les stigmates de la guerre.

 

Kharmora permet de parler de l’Afghanistan et de sa capitale, Kaboul, terre oubliée dans les conflits mondiaux, en donnant la parole aux artistes contemporains ayant vécu la guerre et l’exil, qui essaient de se reconstruire et de défier toutes les formes d’obscurantisme. L’exposition nous offre ainsi une vision engagée et inspirée de ce pays tout autant qu’une diversité de productions.

En 2001, à la fin de la guerre contre les talibans, les artistes reviennent d’exil et les structures culturelles tentent une reconstruction. Pour une courte durée, car les espoirs sont balayés par les forces obscures encore présentes sur le territoire, que ce soit les talibans ou l’État islamique, laissant peu de place à la liberté d’expression. S’exposer, créer, s’exprimer, performer devient alors une véritable gageure dans un pays et une ville, Kaboul, toujours en proie à des conflits ou à des attentats.

En marge et comme une introduction à la visite de l’exposition, le film documentaire True Warriors nous plonge dans le contexte d’insécurité permanente qui prédomine dans le pays.

L’exposition dévoile ensuite les pièces de onze artistes — sur de multiples supports : tableaux, interprétations de contes, calligraphies, installations, photos… —, dans lesquelles la peur, la tristesse et la mort sont omniprésentes. On y découvre la fameuse Kharmora qui donne son nom à l’exposition, une pierre pouvant apporter le bonheur ou réaliser des souhaits selon la croyance populaire, faisant office d’introduction à la suite, entre rêve et désillusion.

On retiendra particulièrement la performance de Kubra Khademi qui, vêtue d’une armure couvrant son sexe et ses seins, a défilé dans les rues de Kaboul en défiant le regard des autres pour dénoncer la soumission de la femme. Depuis, l’artiste a dû quitter le pays et vit désormais en France. On est également sidéré face au corps allongé et surligné de blanc, comme une scène de crime, de Hadj Moravej lors d’une marche pendant laquelle son corps s’est effondré 21 fois, rappelant le nombre de victimes lors d’un attentat quelques jours auparavant. Les peintures nous rappellent quant à elles le sort des minorités, victimes rêvées des régimes extrémistes.

Morteza Herati nous offre un peu de répit avec sa série photo sur les garçons du fleuve, qui montre de jeunes adolescents s’offrant quelques moments d’insouciance en se baignant, leurs pantalons bouffants remplis d’air — et peut-être d’espoir !

Les œuvres exposées sont autant d’actes de résistance face aux menaces permanentes qui pèsent sur ces femmes et ces hommes, dont la plupart ont dû à nouveau se réfugier à l’étranger. Les nombreux épisodes sanglants des dernières années ont profondément marqué la communauté artistique en lui donnant encore plus de matière et d’engagement.

En sortant libres comme l’air sur le parvis du musée, on comprend d’autant plus la nécessité de cette création artistique afghane dans un territoire où la liberté (d’expression) reste encore souvent un vain mot.

 

Cécile Mathieu

 

Kharmora – L’Afghanistan au risque de l’art : jusqu’au 1/03/2020 au Mucem – Fort Saint Jean (Esplanade du J4, 2e).

Rens. : www.mucem.org