Portrait : Kid Francescoli
A nos amours
Inutile de le présenter : il a contribué à donner ses lettres de noblesse à l’indie pop marseillaise. Revoilà le « Kid », avec un nouvel album en forme d’histoire d’amour.
« J’adore les interviews ! » Nous voilà prévenus. Immense sourire aux lèvres, Mathieu Hocine se révèle en effet intarissable. Il faut dire qu’à l’aube de la sortie (en version digitale) de son nouvel album, le « Kid » semble avoir concrétisé ses rêves de gosse. Et donner des interviews en faisait partie : « Mon fantasme, c’était la vie de musicien : faire des concerts tous les soirs, trouver des titres pour des chansons… Avant même de savoir jouer d’un instrument, j’avais déjà un album fini ! » Fasciné par les discographies pléthoriques des Beatles ou de Queen, Mathieu passe ainsi son adolescence à décortiquer les concerts de ses idoles en VHS, reproduisant sans fin les parties de batterie… sur des coussins. S’il affirme aujourd’hui que ça lui a permis de savoir en jouer « avant d’en acheter une », cette anecdote — évoquée dans le premier single de l’album, Blow Up — rappelle surtout à quel point la musique a pu servir d’exutoire au jeune homme, notamment après la perte de son père alors qu’il n’avait que dix ans. « La musique me soigne », confesse-t-il avec beaucoup de pudeur.
Pop en scope
Après quelques expériences en groupe pas vraiment concluantes (« Trop de compromis »), il s’achète un 4 pistes pour « se faire la main en reprenant du Air, du Laurent Garnier et du Dj Shadow » et donner enfin vie à ce projet solo qui l’a tant fait rêver. Il emprunte son patronyme au footballeur uruguayen de l’OM, que l’on surnommait « le Prince » en raison de son élégance, et y appose un « Kid », histoire de bien marquer le « côté solo. Si j’avais été rappeur, je me serais appelé MC ou Asap. Et puis à l’époque, j’aimais beaucoup Kid Loco, et Kid Koala aussi… » Un pseudo en forme de condensé de pop culture, idéal pour caractériser le style racé de sa musique, évoquant alors autant les envolées vaporeuses de Air et les mélopées naïves de Grandaddy que le soleil de l’Italie « morriconienne ». Des références qui ne le quitteront jamais, même si chacun de ses albums possède sa couleur propre, de la pop gracile du premier opus éponyme en 2006 à ce With Julia sensuel et noctambule, en passant par un It’s happening again sous haute influence B.O. de film.
Le cinéma, c’est justement l’autre passion affichée de Mathieu. Si, malgré les apparences, le single Blow Up — dont le clip, un court métrage énigmatique signé Hawaii & Smith, affiche plus de 400 000 vues sur Youtube — ne contient aucune référence au chef-d’œuvre d’Antonioni, l’image en mouvement imprègne chacun de ses morceaux. « L’état d’esprit dans lequel peut te plonger un film, c’est aussi important que les expériences que tu peux vivre, que ce que peut inspirer une rencontre, une ville… Créer des images avec ma musique, c’est le but ultime pour moi. » Et de se lancer dans un laïus sur Cassevetes et Pialat, ces cinéastes « sincères » pour qui il nourrit une profonde admiration : « Il n’y a aucun artifice chez eux, c’est tellement intime qu’on n’a pas l’impression qu’il y a une caméra… »
Le tourbillon de la vie
Le dernier album de Kid Francescoli aurait d’ailleurs très bien pu faire l’objet d’un film. Un film d’amour. Car With Julia ne parle que de ça : de sa rencontre avec la jeune femme à New York en 2009, de leur aventure passionnelle bien que fugace, de la distance et des séparations à répétition, du bonheur d’être ensemble (« We don’t need more, we don’t need blow »), et de la musique bien sûr, qui a scellé leur union et ne les a jamais quittés, même après leur rupture définitive. « Le premier jour où on s’est retrouvés seuls, on a repris Sister Winter de Sufjan Stevens. Dès qu’on s’est mis à jouer, il y a eu un truc dans l’air… » Inspiré par cet amour naissant, l’esprit aventureux de Big Apple (« Quand je me posais trop de questions, en bon Français que je suis, il y avait toujours un Américain pour me taper sur l’épaule et me dire “Who cares?” ; c’est le meilleur truc que j’ai entendu là-bas. ») et la voix de Julia, mélange de fragilité et de « justesse impeccable », un album va peu à peu prendre forme. Au diapason des aléas du couple, il sera le fruit d’allers-retours incessants, à l’instar du morceau My Baby : « Refrain enregistré sur un dictaphone à NY, couplet et accords écrits chez moi et enregistrés chez elle à Chicago, bandes finies à Marseille mais retravaillées aux Etats-Unis… » S’en dégage pourtant une forte cohérence esthétique, déclinée le long de neuf pépites électro-pop, mâtinées de soul, du moins d’un groove jusqu’alors absent de la musique du « Kid » (Boom Boom #2, Disco Queen…). « En commençant à faire des Dj sets et des concerts avec Nasser (il a remplacé Romain pendant près de six mois), c’était grisant de voir les gens danser, d’où la couleur plus électro de l’album. » Désormais, c’est à ses concerts que le public danse (« Un peu, je suis pas Daft Punk non plus »). De quoi se réjouir, d’autant que With Julia a failli ne jamais voir le jour… « C’est une histoire si intime… mais j’étais content des morceaux, alors je me suis dit qu’il fallait l’assumer, ne rien cacher du tout… Maintenant, je suis en paix. »
Cynthia Cucchi
Album With Julia (Microphone Recordings) disponible sur Internet depuis le 22/04
Rens. https://soundcloud.com/kidfrancescoli / http://kidfrancescoli.bandcamp.com/
Bonus
Ce que dit de lui « l’autre » Mathieu, Mathieu Poulain, alias Oh ! Tiger Mountain, son ami et complice musical depuis quelques années (ils œuvrent ensemble au sein de Husbands) :
« Quand j’ai commencé à jouer en groupe, Mathieu avait déjà sorti le premier album de Kid Francescoli. C’était à l’époque le seul vrai disque d’indie pop de la ville, voire de la région. Cela fait donc longtemps qu’il a du talent ! Sur son nouveau disque, il tente des choses nouvelles, et sort de son esthétique charmante et tendre pour aller vers un truc plus de la nuit, plus romantique aussi… et ça va lui réussir. Il raconte une histoire, je trouve ça assez beau. Nous avons des goûts différents, surtout en ce qui concerne l’écho, la guitare électrique, le garage rock et les femmes, mais si on se retrouve sur un point, c’est la passion de la chanson pop bien troussée, du single tour de force et celle d’une certaine élégance cinématographique de la nouvelle vague au cinéma américain 70s. Et Lee Hazlewood, of course ! Après, Kid, pour moi, c’est la famille maintenant, il a quand même passé plus de deux ans sur la route avec moi ! Et ça demande une certaine patience… Un homme patient donc !!! »