Retour sur King Size par le Theater Basel au Théâtre du Gymnase
Mélodie en sous-chambre
Rêvasserie engourdissante entre récital saugrenu et vaudeville indolent, King Size déconstruit et fantasme les codes des deux genres, à coups de lyrisme dérisoire et de candeur cruelle.
Ton sur ton ou presque, l’élégant Gymnase a fourni un écrin à sa mesure au décor cossu du King Size de Christoph Marthaler, tout de vert canard à fleurs cousu. L’intérieur d’une chambre d’hôtel très bon chic bon genre, où trône l’objet du délire : le fameux lit grande taille.
Susurrées en plusieurs langues, des contre-indications invitent les spectateurs à aller à l’encontre des recommandations d’usage : prière de laisser les téléphones allumés, de froisser les papiers de bonbons, de tousser…
Un homme dort dans le plumard royal. Bientôt, il se lève et peigne son crâne d’œuf devant la coiffeuse, tout en entonnant un chant du réveil fort naïf, repris en canon par des voix d’outre pans. Peu à peu les couches de l’absurde si cher au metteur en scène suisse se superposent, se liant avec les timbres qui tendent vers l’enharmonie parfaite. Par enharmonie, entendez « une technique de composition musicale qui permet d’écrire un même son, à la même hauteur, de deux manières différentes et donc avec deux fonctions différentes, à l’image du sol dièse et du la bémol. » Béotiens de la musique, vous percevez des mélodies onctueuses à la cadence docile. Dans ce tableau d’une perfection suisse toute policée, un groom et une femme de chambre arrivent, refont le lit, avant de s’y installer pour y défaire le couple. Personnage lynchien, une vieille dame doucement sénile et dotée d’un cabas à la Mary Poppins traverse la scène par moments, s’assoit à d’autres. Seule à parler sans mélopée, elle délivre quelques pensées étranges et mélancoliques, telle cette métaphore de la virginité : « Il y a des pupitres qui n’ont encore jamais vu une note de musique. » Côté répertoire, les reprises de Bach, Wagner et Satie fricotent avec celles de Polnareff, Bobby Lapointe et des Jackson Five. De romantiques ritournelles de la banalité sur l’amour, les fleurs, les oiseaux et la vacuité du quotidien entrent en dissonance avec des airs pop enlevés, procurant un décalage et une soupape comiques fort à propos, tant le paysage pictural et musical est autrement soporifique.
En somme, King Size fait penser à une berceuse onirique et farfelue : son léger effet barbiturique amadoue les visiteurs afin de mieux les transporter dans l’imaginaire du sommeil paradoxal.
Barbara Chossis
King Size par le Theater Basel était présenté du 16 au 18/03 au Théâtre du Gymnase