C’est arrivé près de chez vous | L’Atelier Aalto
Tour atours
Sur les contreforts de la graphique et irradiante église des Réformés, aux pieds de la tumultueuse Libération, se blottit une boutique que même le passant régulier pourrait n’avoir pas remarquée. Sitôt la porte ouverte, le vacarme du monde s’éteint et un large espace de lumière et de calme s’ouvre à nous. Nous sommes à l’atelier Aalto, qui érige une céramique aux lignes fines et franches, et aux couleurs Majorelle ou délicates.
Il existe autant de philosophies de vie que d’êtres humains. Amandine Gachet cultive un esprit en perpétuelle quête qui se révèle au fil des échanges. Quand une de ses meilleures amies la traine à un cours de poterie, Amandine regimbe. Pour elle, la poterie est un peu un stéréotype, ultra respectable, mais qui ne l’emballe pas plus que ça. La jeune femme est en effervescence et ignore que cette rencontre avec la terre qu’on façonne va bouleverser sa vie.
Amandine est architecte. Un œil sur ses créations suffit à le comprendre. Comme toute débutante, elle fait ses premiers pas dans des cabinets régionaux, œuvrant sur de nombreux projets qui devraient combler une novice. Mais son âme exaltée est déjà ailleurs et sa seule certitude est d’être une bâtisseuse. Elle veut être utile. Ce sont des ONG d’architecture humanitaire qui lui apportent ses premières grandes satisfactions en l’envoyant vers Haïti puis vers l’Afrique, des lieux du globe où choisir sa philosophie de vie relève de la survie dans un quotidien qui se calcule en menaces permanentes. Mais si cette vie est gratifiante et regorge de sens, il faut bien rentrer un jour, et Amandine retrouve Marseille.
Après ces bouts du monde, l’architecture française lui parait moins symbolique et la jeune femme tourne en rond. Quand elle participe à ce premier cours de poterie et quoiqu’elle n’en attende rien, un choc sismique se produit en elle. Celle qui nourrissait un léger préjugé va instantanément déceler des lignes infinies et des possibilités inimaginables dans cette pratique millénaire.
S’asseyant au tour, elle interagit avec la matière, avec la position du corps, la manière de modeler les édicules argileux naissants qui tournoient entre ses mains. Elle sent son activité intérieure s’apaiser, ses nerfs baisser la garde et elle réalise que fabriquer procure un bonheur plein et authentique. Les parallèles avec l’architecture lui sautent aux yeux. Avec la poterie, on envisage, on pose des bases, on habille et oriente, on attribue, ou pas, une utilité, et on peut même décider d’y glisser des options personnelles, à l’échelle qu’on décide soi-même. C’est la révélation et Amandine ressort de cette séance transfigurée. Elle se lance dans cet artisanat qui lui tombe un peu du ciel.
Durant trois ans de partage, d’apprentissage, de voyages intérieurs, d’acquisition de techniques, Amandine réoriente sa vie et choisit la céramique comme domaine d’expérimentation et de construction. Elle se sent, alors, prête, à sculpter de ses propres ailes et à ouvrir son atelier. Elle déniche son espace au bas de Libération. Un signe, sans aucun doute. Un boulevard en mutation où les nombreuses nouvelles boutiques aux façades anciennes jouxtent le passé un peu sombre du quartier et les vitrines vintages qui exposent leurs années d’abandon. On restaure les façades, on réinvente les espaces ; cette voie si longtemps de garage retrouve, peu à peu, son lustre. Un endroit parfait pour la jeune artisane.
On demande, tout de même, à Amandine comment une architecte peut se projeter dans un artisanat plus ou moins aléatoire. Mais elle suit cette voix lui murmurant que s’accomplir, c’est se réaliser et sentir les envies matérielles s’amenuiser. Préoccupée par l’avenir de nos sociétés, le sort de l’environnement et la déliquescence du monde, Amandine se bâtit un atelier refuge à sa mesure. Les murs de l’échoppe, à peine grattés, gardent les stigmates aux couleurs passées de tous les faiseurs d’intérieurs qui l’ont investie avant elle. On adore déceler les anciennes couches de peinture et les restes de papier peint, les graffitis tout juste grattés. La grande table centrale autour de laquelle on s’assoit sur du formica jaune pour boire dans des tasses faites maison rajoute à la chaleur de l’endroit que de larges pans blancs rythment. La seule musique du lieu est le ronronnement apaisant du tour.
Des gerbes de fleurs séchées descendent du plafond et des inspirations créatrices diverses se distinguent dans la boutique. Aalto se partage avec Denise Bresciani et Ziggy Fleurs, et toutes donnent au lieu des couleurs et vibrations régulièrement renouvelées. Amandine se forme aux techniques des émaux et imagine déjà les unions de matières qui singulariseront, plus encore, ces œuvres déjà marquées.
Aalto est une halte d’esthétisme dans le tumulte urbain. On s’y laisse porter par l’instant et la sérénité, on passe d’un présentoir à un autre en appréciant un évident amour pour les lignes.
Après un moment volé au temps, on reprend sa route, requinqué, avec l’envie de revenir. Loin d’un luxe ostentatoire, on peut même se permettre de rentrer chez soi installer une œuvre acquise sur place, car Amandine ne nourrit aucun élitisme et, il y en a pour tout le monde.
Il est déjà évident que cette bien sociable ermite auto-proclamée continuera de nous ravir encore et encore, et d’inventer des nouvelles techniques, directions et manières de se présenter au monde, guidée par cette terre devenue l’égérie motrice qui l’a amenée là.
Jean Madeyski
L’Atelier Aalto : 8 boulevard de la Libération, 13001 Marseille.
Rens. : www.instagram.com/atelier_aalto