La Boucle documentaire
Boucle magnétique
Au Polygone Étoilé et à la Friche la Belle de Mai s’organisait les 21 et 22 octobre l’assemblée constitutive de la Boucle Documentaire, structure réunissant les principales dynamiques hexagonales en matière de documentaires de création. Une occasion unique de questionner fabrication et diffusion au sein d’un geste cinématographique devenu essentiel.
C’est avec la méthode idoine à l’action politique jacobine qu’Emmanuel Macron a, le 2 septembre dernier, débobiné ses annonces en matière de projets cinématographiques au sein de la cité phocéenne. Justifiant entre autres son discours par le soutien accru à la création méditerranéenne, il promis à Marseille, dans les cinq ans, la création de studios de tournages pharaoniques (dont un bassin en mer), l’implantation de l’école Cinéfabrique, qui a déjà vu le jour à Lyon, ou l’extension de la Cinémathèque Française, pour un coût total de cinquante millions d’euros. Des annonces qui, à n’en pas douter, ont pris de court les institutions locales, contraignant à l’urgence, enrayant la réflexion indispensable à la création de tels projets dans un contexte cinématographique en pleine mutation.
Et une seule question se pose éternellement dans un pays qui entretient un lourd passé historique dans son processus de décentralisation : quid des actrices et acteurs locaux dont les combats pour la création et la diffusion s’écrivent au quotidien ? Il est heureux que la Ville se dote d’un adjoint à la Culture — Jean-Marc Coppola — particulièrement à l’écoute des forces vives de la cité phocéenne, qui tissent par leur travail une dynamique unique, hors des sentiers balisés d’une industrie sclérosée. Un élu qui compte visiblement bien faire entendre leurs voix au centre d’un projet sur lequel plane le danger d’une culture hors-sol.
Si ce soutien reste précieux, les auteur·rice·s-réalisateur·rice·s, en écriture documentaire, dont nous nous faisons régulièrement l’écho dans ces colonnes, ont d’ores et déjà pris les devants, avec entre autres la tenue, les 21 et 22 octobre derniers, au Polygone Étoilé et à la Friche la Belle de Mai, de l’assemblée constitutive de la Boucle Documentaire, après six années d’existence informelle. Ce collectif s’est ainsi doté d’un statut juridique en fédération d’associations, pour la valorisation du documentaire de création.
Rappelons qu’en 2019, dernière année pleine de l’exploitation hexagonale en salles, plus de 20 % des films s’inscrivaient dans cette catégorie — l’un des pourcentages les plus hauts de son histoire. Sans omettre évidemment l’étendue de la création diffusée par ailleurs en télévision ou sur plateformes. Le documentaire, dans toute l’intelligence de son récit, n’est d’ailleurs pas seulement affaire de cinéma : a contrario du reportage, il y est question de notre profond rapport au monde et de sa représentation, il est l’identité même du politique et du poétique. Et la grande force de la Boucle Documentaire est d’être parvenue à réunir dix-sept organisations professionnelles, dont trois nationales et quatorze régionales, à l’instar de l’AARSE dans le Sud-Est, de l’Arbre en région Bretagne, de la Plateforme en Pays de Loire ou de la NAAIS – Auteurs de l’image et du son en Nouvelle-Aquitaine. Lors de ces deux journées de travail, nombreux furent les chantiers à bâtir collectivement, et ce pour peser largement dans le débat public et professionnel, jusqu’au sein des institutions étatiques, industrielles ou télévisuelles : citons éparses la raréfaction des financements dédiés à la création, la faiblesse du soutien à l’écriture, la concurrence accrue avec d’autres genres comme le reportage, le formatage accentué de la part des diffuseurs, les difficultés d’accès à la distribution en salle pour le documentaire, le poids du centralisme et les inégalités territoriales fortes, les tentatives d’ingérences politiques, la réflexion sur le statut d’artiste-auteur·rice et les questions d’un revenu universel de création. C’est à cet endroit précis que se joue non seulement la question même de l’évolution des langages cinématographiques, de la création, mais bien au-delà, de la puissance du cinéma à s’emparer du réel, dans l’élan d’une priorité ontologique. Comme le rappelle Cyrielle Faure, membre du collège solidaire de l’AARSE et de la Boucle Documentaire : « Cette structuration nous permet déjà d’asseoir notre place dans les négociations et débats nationaux, et de faire entendre la voix des cinéastes de terrain. Nous sommes très attachés au fonctionnement horizontal, où chaque association pèse du même poids, quelle que soit son ancienneté, ou son nombre d’adhérents. Il a été acté que le siège social de cette association sera basé à Marseille, et nous partons dès à présent sur la recherche d’un local afin de recevoir l’activité de la fédération. Pourquoi pas dans une Maison des Auteurs ? »
Emmanuel Vigne