Le Cercle des nageurs © Damien Boeuf

La chambre régionale des comptes plonge dans l’entre soi du Cercle des Nageurs de Marseille

L’association à la tête du plus célèbre complexe aquatique de la Ville a vu ses comptes analysés par les magistrats financiers. Sans surprise, le Cercle des Nageurs gère à la fois le club privé et les activités bénéficiant d’argent public, sans toujours tracer de limite claire.

 

 

Ahhh… Le Cercle des Nageurs de Marseille, ses notables en sortie de bain éponge, son restaurant avec vue panoramique sur les manants des Catalans, ses subventions publiques renouvelées chaque année sans ciller. La chambre régionale des comptes (CRC) épingle à son tableau de chasse une institution marseillaise, qui, depuis un siècle, brille dans les bassins olympiques tout en réunissant une grande partie de la bourgeoisie marseillaise.

Autant le dire d’emblée, le rapport définitif que la CRC vient de rendre public ne contient pas d’éléments scandaleux sur la gestion du Cercle entre 2015 et 2020. Il n’y est même pas question de la subvention d’1,8 million d’euros envisagée en 2018 par le conseil départemental pour financer de nouveaux vestiaires. Son retrait quasi immédiat par Martine Vassal devant le tollé suscité la rend invisible aux yeux de la chambre.

 

Un demi-million d’argent public par an

En revanche, le rapport documente avec précision la gestion de cette association qui a consommé en moyenne un demi-million d’argent public chaque année pour un budget global qui tourne autour des cinq millions d’euros sur la période observée. Ville, département et région contribuent au soutien au sport de haut niveau, même si la municipalité a choisi, depuis 2020, de retirer ses 250 000 euros de subventions annuelles.

Le Cercle des Nageurs conserve, dans sa gestion comme dans son organisation, le caractère privé d’un club de notables où on entre par cooptation, nécessitant un droit d’entrée de 2 000 euros et une cotisation annuelle moyenne de 1 550 euros. Pas de quoi permettre « l’adhésion de membres issus de catégories sociales moins favorisées », note la chambre.

Cette critique, Paul Leccia, président du Cercle depuis trente-deux ans, la balaie d’un revers de la main, en précisant dans sa réponse au rapport que certains membres choisissent l’accès au club « au détriment de vacances ou d’autres dépenses ».

 

Le bien-être des sociétaires, plus cher que le sport de haut niveau

Cette particularité notable déteint forcément sur la gestion du club. En effet, le palmarès sans égal du Cercle justifie sans nul doute de placer en tête de son objet social « la pratique du sport de haut niveau », une mission dont ses membres sont censés être solidaires. Mais, en opérant une analyse fine de sa comptabilité, la chambre ne place pas ce domaine en tête des charges de l’association.

Si elle est coûteuse en personnel, la présence des nageurs et poloïstes coûte moins que les installations utilisées par les membres sociétaires. La chambre en fait la liste : « le bassin extérieur à l’eau de mer, des cours d’aquagym et de yoga et pilate (…) mise à disposition d’un sauna, d’une salle de musculation, d’un terrain de beach-volley, de pétanque, de beach-soccer et d’une salle de foot indoor. »

Même dans l’usage des bassins, les nageurs d’élite sont minoritaires avec 14 % de présence dans l’eau contre 15 % dédiés à la formation et 68 % au bon plaisir des membres.

La chambre estime « le coût de l’activité dédiée aux membres à 3,3 millions d’euros ». Rapporté aux 3 224 membres en 2020, cela fait un total de plus de 1 000 euros par tête, à rapprocher de l’adhésion annuelle de 1 550 euros.

 

Ventilation opaque d’argent public

Or, l’absence d’une comptabilité précise empêche de connaître l’affectation d’argent public et donc, in fine, de savoir s’il va bien à des missions d’intérêt général, par exemple la formation des quelque 900 écoliers marseillais ou le sport amateur de haut niveau :

« Actuellement, rien ne garantit que les ressources publiques soient utilisées pour les missions de service public du club. Cette présentation pourrait être très utile pour présenter une information transparente au conseil d’administration et l’éclairer dans ses décisions de gestion. »

Ce vernis de « club de notables » imprègne aussi la vie associative du Cercle des Nageurs. Ainsi le vote en assemblée générale est corrélé à l’ancienneté dans le club : avec vingt ans de carte au CNM, on obtient ainsi dix voix en AG. Cela permet à ces 316 anciens sur les 2 509 membres dotés du droit de vote de détenir à eux seuls les deux-tiers des suffrages. Ce qui s’avère d’autant plus pratique pour obtenir le quorum, fixé à un quart des voix.

 

Gestion à la papa

Un flou entoure également les organes de gouvernance : le conseil d’administration est doté des mêmes prérogatives que le comité directeur, émanation du conseil. En scannant la gestion du club depuis 2015, la chambre n’a retrouvé que quatre procès-verbaux de réunion de ce comité directeur qui se retrouve pourtant tous les mois. Pour se justifier, la direction met en avant le fait que ces réunions se tiennent « d’une manière informelle, à l’occasion de déjeuner ».

Par ailleurs, contrairement aux dispositions du code du sport qui prévoit « l’égal accès des femmes et des hommes aux instances dirigeantes », le CNM ne compte que sept femmes contre dix-sept hommes en son conseil, un déséquilibre qui s’accentue au sein du comité directeur avec une seule femme pour six ou sept hommes. La direction du Cercle promet de faire des efforts en promouvant la parité, mais souligne que ses statuts ne contiennent aucune disposition discriminatoire à cet égard.

 

Un fonds et des réductions

Enfin, la chambre scrute avec attention la gestion d’un outil de financement du club, créé en 2010 sous la forme d’un fonds de dotation, destiné à « soutenir et développer des activités d’intérêt général ». Or, pour les rapporteurs de la chambre, cette notion d’intérêt général est interprétée « de manière extensive » par le fonds comme par le club. On trouve ainsi des dépenses de formation ou d’achat de matériel ou des soutiens à des stages à l’étranger des sportifs. Or, en termes de fiscalité, la notion d’intérêt général impose que « le fonds ne fonctionne pas au profit d’un cercle restreint de personnes ». Pour la chambre, cela ne peut pas être le cas à partir du moment où seuls les membres du club, voire une partie d’entre eux, en bénéficient.

A contrario, la direction assure pour sa part que le fonds vient financer la partie « non lucrative » de son activité, le sport de haut niveau et la formation. L’argument ne satisfait pas la chambre qui insiste sur le caractère fermé de l’adhésion au club et le risque juridique de ne pas satisfaire les critères d’intérêt général alors que les dons qui abondent ce fonds donnent lieu à des réductions d’impôts. Sans surprise, ce sont les membres eux-mêmes qui alimentent ce fonds. Le club leur propose de verser 1 000 euros au club et 1 000 euros au fonds de dotation, dont ils récupèreront la moitié via un crédit d’impôt. Une forme de cercle vertueux…

 

Benoît Gilles