La contestation anti-Airbnb force la porte d’appartements en location
Un propriétaire de logement Airbnb à la Plaine a retrouvé son logement vandalisé avec des messages hostiles aux locations touristiques. Une dégradation qui fait écho à l’opposition de certains riverains et collectifs du quartier face à l’augmentation du phénomène depuis plusieurs mois.
Dis-moi quel caramantran tu brûles et je te dirai quelle question sociale agite le quartier de la Plaine. Cette année, l’emblématique mannequin du carnaval ne visait pas une personnalité mais un phénomène. Celui du développement des locations dites Airbnb, ou plus largement de courte durée, symbolisé par un monstre construit de valises et plusieurs autres constructions du genre. Plus directement, la célèbre plateforme américaine est pointée du doigt par des banderoles ou même des déguisements.
Il suffit de traverser ce quartier du centre-ville pour voir que le sujet agite depuis plusieurs mois les habitants, riverains et collectifs de la Plaine. Au point de franchir le seul affichage sauvage et les inscriptions dans la rue pour viser directement un appartement. À quelques mètres de la place Jean-Jaurès, des locataires ayant utilisé la célèbre plateforme sont arrivés devant leur logement éphémère jeudi dernier, quelques jours avant le carnaval. Après avoir récupéré les clefs dans un boîtier dédié, ils constatent que la serrure de l’appartement a été forcée.
À l’intérieur, des graffitis violets recouvrent presque tous les murs blancs sans trop de décoration qui caractérisent ce type de logement standardisé. Les messages laissent peu de place au doute sur les intentions de leurs auteurs : « Airbnb fait exploser les loyers », « appartement fantôme tue nos vies » ou encore « spéculation immobilière = gens mis à la rue ». De la farine a également été jetée par terre et du papier toilette déroulé au milieu du salon. Le sol et le canapé d’angle sont eux aussi tagués par des traits orange. Chaque pièce a le droit à son traitement spécial. Message sur le miroir de la salle de bain, matelas recouvert de taches avec deux cœurs dessinés pour une chambre, un « cadeau pour les punaises de lit » dans l’autre.
Le très présent sujet Airbnb à la Plaine
« Ce n’est pas la première fois. Début décembre, les siphons, des ampoules et des couettes avaient été volés », raconte avec désarroi Guillaume. Ce propriétaire a porté plainte. Habitant d’Aix-en-Provence, il a acheté l’appartement en 2018, d’abord pour le proposer en location longue durée. « Mais à un moment, nos locataires n’ont plus payé et la procédure d’expulsion a duré dix mois », explique-t-il. De quoi creuser un trou de « 10 000 euros » dans sa trésorerie et le convaincre de passer sur Airbnb en mai 2022.
Un choix qui est loin d’être isolé : les offres de location de courte durée dans le secteur ont fortement augmenté. Le collectif Observatoire de la gentrification de la Plaine, qui s’auto-décrit comme « une initiative d’habitants inquiets par le phénomène », a recensé les offres proposées par Airbnb. Entre septembre 2021 et 2022, le nombre d’annonces dans le quartier sur la plateforme est passé de 143 à 227. Soit une hausse de près de 60 %. Des chiffres qui concernent le petit périmètre du rectangle rouge sur la carte ci-dessous.
En juin 2021, le journal militant du quartier Sous le soleil, la Plaine pointait déjà le phénomène. Depuis, les messages hostiles à Airbnb se multiplient. En novembre dernier, un charivari, équivalent d’un carnaval mais sans lien avec une date fixe, dénonçait spécifiquement l’augmentation des annonces sur la plateforme de location. Les collectifs ou associations sur la Plaine qui portent l’opposition sur ces thèmes n’ont pas répondu à nos sollicitations.
Patrick Lacoste, membre de l’association Un centre-ville pour tous, fait partie de ceux qui contribuent à ces débats sur le logement. S’il ne cautionne pas l’action par les dégradations, il pointe un véritable problème politique : « C’est la conséquence de la stratégie touristique de la municipalité précédente, que la nouvelle ne change pas beaucoup. » Il pointe « le réaménagement de la place qui avait pour but de faire venir les touristes », ce qui a entraîné, estime-t-il, la gentrification du quartier. Une évolution contre laquelle « il n’est pas évident de lutter, à Barcelone cela fait dix ans qu’ils essaient, on ne va pas frapper les touristes ou brûler les appartements. »
Des propriétaires qui repassent en location longue
« Ils ont gagné, je vais le retirer d’Airbnb et le remettre en location longue durée car ça me coûte trop cher », lâche Guillaume, désabusé. Son assurance ne couvre pas les graffitis, il va donc falloir payer pour repeindre l’ensemble des murs. À cela s’ajoute le rachat d’un canapé, de matelas et l’intervention du serrurier qui, à elle seule, se chiffre à 1 000 euros. « Il m’a dit qu’il avait déjà vu ça », note Guillaume.
Marsactu a pu contacter une autre propriétaire de location de courte durée victime de ces intrusions. Son logement n’est pas situé à la Plaine, mais à proximité du stade Vélodrome. Pas vraiment le quartier suspecté d’être le théâtre d’une révolte contre Airbnb. Pourtant, entre août et octobre 2022, Candice a vu la serrure de son appartement bloquée à la glu à deux reprises. Puis une troisième infraction a eu lieu avec là aussi un message sans équivoque : « Stop Airbnb ». Cette propriétaire qui vit à Paris signale également quelques vols de télécommandes. Elle confie avoir soupçonné son voisinage, qui s’est parfois plaint de soirées au sein du logement, « mais n’a pas de preuve ». Elle a porté plainte, sans avoir de nouvelle de la police depuis. Après ces trois dégradations, elle a remis son appartement en location de longue durée. « J’ai eu beaucoup de demandes », remarque-t-elle. Signe qu’au-delà des contestataires revendiqués, la question du manque de logements devient brûlante pour beaucoup à Marseille.
Rémi Baldy