L’âme vagabonde
Comme les feuilles mortes de la chanson de Prévert, à chaque automne, la Fiesta des Suds nous rappelle à son souvenir. Véritable été indien ponctuant la vie des Marseillais depuis 1992, elle voit se succéder les générations. Simple habitude ou plaisir intact ?
« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître… » Si Charles Aznavour avait lui-même connu la Fiesta des Suds, il aurait pu commencer à la conter ainsi. Son âge aurait pu le lui permettre, mais artistiquement, il était hors sujet. Quoique… Rappelons qu’en ce temps-là, il était question de mettre à l’honneur les musiques « des Suds », vaste concept dont on ne connaît toujours pas la zone géographique qu’il délimite. Il faut plutôt considérer ces « Suds » comme une série de clichés regroupant d’agréables images représentant fête, chaleur, chicas calientes, etc.
Les premiers éléments du succès du festival tiennent donc dans son intitulé très prometteur, et dans la qualité de sa programmation. Sur ce point, la Fiesta a immédiatement trouvé la bonne formule en offrant une scène professionnelle à des artistes locaux tout en conviant des pointures internationales. De par son éclectisme musical, mais aussi en faisant circuler un nombre incroyable d’invitations, l’association Latinissimo parvient à réunir en un même lieu un public de tous âges et de toutes classes sociales. Pour l’accueillir, le festival va investir divers lieux incongrus faisant partie du patrimoine industriel de la ville, avant de s’établir au Dock des Suds entre 1997 et 2004, période que l’on pourrait considérer comme l’âge d’or de la Fiesta. Trois à quatre soirées par semaine sur trois semaines avec, en point d’orgue, l’édition 98. Cette année-là, le Dock des Suds devient le prisme scintillant d’un Marseille qui s’affiche sans complexes comme un modèle de mixité sociale : emmenée par un Marseillais d’origine algérienne, la France Black/Blanc/Beur fait voler en éclats les préjugés. Au Dock, lieu magique permettant la déambulation entre scènes, bars et salles d’expositions, on prend plaisir à perdre ses amis pour en rencontrer d’autres dans l’immense couloir central ou à la Bodega, unique vestige du terrible incendie ayant ravagé les lieux un mois avant l’édition 2005, et obligeant les organisateurs à trouver une solution d’urgence. Terrible présage de la crise à venir, la foudre s’abat sur ce symbole d’une ville où tout semblait alors possible. Un chapiteau sur les cendres de l’ancien lieu, et une scène sous l’autoroute plus tard pour réaliser l’exploit de ne pas annuler l’événement.
L’année suivante, il traverse la rue et s’enracine dans les murs encore occupés aujourd’hui. Un tournant dans son histoire : on n’y retrouvera jamais plus l’ambiance qu’induisait le lieu précédent. Crise financière, chômage au plus haut et « tac tac tac ! », voilà qu’ici les mitraillettes reviennent à l’attaque. En attendant des lendemains meilleurs, les dernières éditions ne se tiennent plus que sur deux week-ends. Malgré tout, la programmation reste attrayante et les aficionados sont au rendez-vous, car c’est aussi le public qui fait de la Fiesta ce qu’elle est. Selon la théorie de Duncan Mac Dougall, l’âme aurait un poids, vingt-et-un grammes, que l’on perd en mourant… Dieu merci. A vingt-et-un ans, la Fiesta des Suds n’a pas vendu la sienne.
Laurent Jaïs
La Fiesta des Suds : du 19 au 27/10 au Dock des Suds (12 rue Urbain V, 2e).
Rens. 04 91 99 00 00 / www.dock-des-suds.org
Les photos de la Fiesta 2012, c’est par là