Mécène cherche subventions

La fondation Regards de Provence vient d’acquérir auprès des domaines de l’Etat la station sanitaire Pouillon, en face du J4 à Marseille, pour l’euro symbolique. Elle prévoit d’y investir quatre millions d’euros pour la transformer en musée d’ici 2013. Mais pour cela, elle a besoin de l’argent public.

Ce devrait être une bonne nouvelle : le sauvetage par une fondation privée d’un monument de Marseille classé au patrimoine du XX^e siècle, en l’occurrence, la station sanitaire Pouillon (voir Le Ravi n°71, février 2010). Une très bonne nouvelle même puisque ce bâtiment, dans un état de délabrement avancé suite à soixante ans d’abandon, va être transformé en musée. Il abritera l’une des plus belles collections privées de la cité phocéenne, celle de la fondation Regards en Provence, principalement centrée sur la Méditerranée et qui compte 850 tableaux (du XVIII^e au XXI^e siècle). Et l’enthousiasme finit par nous emporter quand on visite le lieu avec Pierre Dumon, le fondateur de Regards de Provence. Une torche à la main, il s’aventure dans le bâtiment muré en se projetant déjà dans son musée. « Là, nous allons surélever le plancher de soixante centimètres ; là-haut, nous allons créer une passerelle pour relier les deux pièces, nous allons casser cette cloison, mais nous allons garder ces machines là, explique-t-il avec l’enthousiasme d’un gamin devant un magasin de jouets. Et là, regardez, sous la suie, ce sont de véritables carreaux de Salerne ! A chaque fois que je viens, j’ai plein d’idées nouvelles. J’ai hâte qu’on enlève les parpaings et qu’on les remplace par des vitres pour embrasser la vue que l’on aura sur le Mucem, la Villa de la Méditerranée et le reste du Port. C’est un endroit magique. » Effectivement, la station sanitaire, par son emplacement, recèle un fort potentiel d’attraction, d’autant que, sous la Major toute proche, vont être installés des commerces qui prolongeront les futures terrasses du Port. L’endroit, aujourd’hui dominé par des grues, est appelé à devenir « The place to be » à Marseille. Les travaux, estimés à quatre millions d’euros, devraient démarrer en septembre, pour une ouverture du site prévu en 2013.
Mais voilà, il y a un gros problème dans ce petit conte de fée marseillais : la fondation Regards de Provence, toute soutenue qu’elle soit par de grandes entreprises (Sodexo, CIC, Ecureuil, Air France, Total, Prado Carénage…)
attend un million d’euros de la part des collectivités locales pour lancer les travaux. « La ville de Marseille a déjà voté une subvention de 575 000 euros deux mois après la signature du bail », explique Adeline Granerau, chargée du développement de la fondation et fille de Pierre Dumon. Une efficacité municipale assez surprenante, surtout dans le domaine culturel. Mais les Dumon ne sont pas n’importe qui. Madame Dumon est la fille Pierre Bellon, fondateur de Sodexo ⁽¹⁾, grand ami de Jean-Claude Gaudin et dont le beau-frère n’est autre que Jean-Louis Tourret, adjoint aux finances de la ville de Marseille. « Cela n’a rien à voir, assure Adeline Granerau. Si la mairie nous a prêté à titre gracieux le Château Borely puis le Palais Carli, elle s’y est retrouvée car nous y avons effectué des travaux et en dix-sept ans, nous avons proposé plus d’expositions que tous les musées marseillais réunis. Mais notre projet a toujours consisté à disposer d’un vrai musée. » Et pour montrer sa bonne foi, Pierre Dumon explique que la fondation a déjà mobilisé ses mécènes pour apporter un million d’euros et qu’il mettra personnellement un autre million d’euros, par le biais de la SCI spécialement créée, pour boucler le budget des travaux ⁽²⁾. Une générosité toute relative au vu de la possibilité qu’offre la loi de défiscaliser son don à hauteur de 66 %. Pour autant, il reste encore à la fondation de convaincre la Région d’apporter 210 000 euros et le CG 13, 250 000 euros, au moment où la première annonce une baisse de 10 % des budgets culture et où l’autre maintient juste son enveloppe. « Pour l’instant, je n’ai vu aucun dossier de subvention déposé dans mes services, assure Michel Pezet, vice-président délégué à la culture au Conseil général. Mais je sais par expérience que la fondation, vu ses relations, a pris l’habitude de court-circuiter les tuyaux habituels. Pour autant, je l’affirme, rien n’est fait. »

Stéphane Sarpaux (article paru dans Le Ravi n°84, avril 2011)

1. Sodexo, numéro deux mondial de la restauration collective (dont une partie des cantines scolaires marseillaises), au chiffre d’affaire de quinze milliards d’euros (2010). Pierre Bellon est la vingt-cinquième fortune française en 2010, avec un patrimoine de près de deux milliards d’euros.[↩]
2. Uniquement sur la partie du bâtiment qui abritera les bureaux et la boutique du musée.[↩]