La France – (France – 1h42) de Serge Bozon avec Sylvie Testud, Pascal Greggory…
Alice au pays de la ligne Maginot
Malheur à moi de tomber sur cette interview radio : en multipliant les références littéraires et cinématographiques sur un ton méprisant, Serge Bozon a le don de dissuader toute personne intéressée d’aller voir son film. Plus encore, les premières minutes de La France laissent craindre le pire : imitant les petits budgets de la Nouvelle Vague, le film commence dans une approximation où rien ne fonctionne : rythme, jeu, lumière… Difficile alors d’embarquer dans cette histoire où, en trois plans, Sylvie Testud — la femme éplorée — se retrouve avec dix acteurs déguisés en soldats de la première guerre pour rejoindre le front. Cependant, assez vite, ce décalage revendiqué nous éloigne de toute réalité et devient le principal atout de la pellicule en nous nous plongeant dans un no man’s land troublant. Voyage initiatique ponctué d’épreuves, les errements du bataillon 80 tirent alors vers une Odyssée impalpable où Pénélope chercherait son Ulysse à travers un Voyage au bout de la nuit. Les repères, court-circuités, nous dégagent de tout ancrage historique et transforment ce début poussif en un rêve poétique. Le tout ponctué de ballades poppy que nos poilus, devenus bardes-Beatles, chantonnent mélancoliquement, à notre grand étonnement. La peur, la bonté et l’infamie sont au programme de cette classe de vie où peu à peu, l’humain se révèle barré mais touchant, à l’image des maladresses de fabrication. Empruntant d’abord le Chemin des Dames pour ensuite se foutre de la guerre de quatorze comme de l’an quarante, ce conte laisse finalement la trace durable d’un songe nocturne agité, empli de riches rencontres et d’une morale que l’on aurait oubliée.
EG