A deux pas l’une de l’autre, la galerie de la Friche et le lieu d’exposition pour l’art actuel Où présentent trois jeunes artistes — Anthony Duchêne, Pierre Labat et Yannick Papailhau — engagés… dans le plaisir de créer
A deux pas l’une de l’autre, la galerie de la Friche et le lieu d’exposition pour l’art actuel Où présentent trois jeunes artistes — Anthony Duchêne, Pierre Labat et Yannick Papailhau — engagés… dans le plaisir de créer
Il existe mille et un moyens pour la jeunesse de réagir : certains, comme on l’a vu ces dernières semaines, trouvent dans la rue le plus sûr chemin pour s’exprimer et revendiquer leur vision différente des choses ; d’autres, peut-être un rien trop rêveurs, cherchent dans l’art, plus ou moins consciemment, une voix singulière, curieuse et poétique. Points communs : ils sont jeunes et engagés. Bref, ils provoquent le changement.
« C’est à la suite d’un concert que j’ai réalisé le Dispositif Leslie » : voilà comment Anthony Duchêne (également exposé il y a quelques mois à la librairie Histoire de l’œil) explique l’origine de l’ensemble cohérent d’œuvres qu’il présente à la Friche ces jours-ci. Une proposition où le son est une matière sourde et silencieuse, en contraste avec la pléthore de travaux sonores proposés ces derniers temps par nombre d’artistes. Le Dispositif Leslie se présente comme un amplificateur relié à un générateur de basses fréquences. Le moteur s’agite, produit un mouvement, mais aucun son n’est audible : tout le jeu créatif réside dans la subtilité d’avoir proposé non pas un son à entendre, mais à visualiser. Il s’agit d’un non-effet : un son qui tourne, qui est en rotation, qui dure. Le temps, autre interrogation de l’artiste, soulève l’idée d’une boucle sonore qui « n’a ni commencement ni fin : elle suggère le son dans un rapport au temps où l’intérêt ne se porte pas sur une hauteur ou sur une harmonie mais sur une durée silencieuse. » Il n’y a plus qu’un pas à faire pour saisir la continuité entre les différentes pièces présentées. Footswitch’s round et Big Muff’s round dance, comme deux jumeaux, fonctionnent sur l’idée d’une mise en scène factice d’un effet sonore répétitif (allusion au rôle des pédales d’effets), ainsi que sur une représentation circulaire du temps. On comprend mieux alors la série de dessins qui ouvre l’exposition, Calendrier annuel des sons migrants, qui rassemble l’ensemble des questions que pose Duchêne à la musique expérimentale : une proposition sonore silencieuse et inédite qu’il justifie par sa démarche (« le dessin, ça marche comme un son ») et une interprétation du temps comme un déplacement (avec la métaphore des oiseaux migrateurs).
A ses côtés se mêlent sans discrétion les éléments architecturaux éphémères de Pierre Labat, qui investit le lieu d’exposition en jouant de sa sobriété et de ses volumes. Sa pièce la plus surprenante reste sans conteste Space Between, déroutante colonne en suspension qui occupe l’espace sans rien soutenir, sinon le vide qui se tient à hauteur de regard. On ressort de la galerie quelques peu dérangés et bousculés par cette invitation à préférer, aux sons habituels entendus en concert, un son visuel, et aux structures imposantes et prétentieuses dont se glorifie notamment la mairie de Marseille, une architecture se jouant du vide.
A quelques pas de là, Yannick Papailhau entreprend de transformer l’espace d’exposition de l’art actuel Où avec un dispositif d’une architecture incertaine et emplie de poésie, qui défie l’étroitesse du lieu. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Papailhau ne dissocie pas son travail plastique d’un travail d’écriture. La cabane, assemblage de bois, de panneaux de contreplaqué et de matériaux de récupération, toujours en construction, jamais véritablement achevée, comme un espace en perpétuelle évolution, est autant un lieu de rêverie qu’un prétexte à agencer un espace modulable. Un ensemble de panneaux vient prolonger en courbe les lignes de la cabane, alors qu’une pompe se met en marche toute les quatre heures pour « purger la cabane du temps d’exposition » ! Prenant le contre-pied de toute norme rébarbative (les projets de construction de masse qui fleurissent ici et là, participant à la monotonie du paysage urbain), cet espace architectural semble murmurer le son coloré, frais et vivant de la jeunesse. D’ailleurs, en se penchant bien, on pourrait presque entendre ce murmure…
Alors, n’attendez pas plus, et portez vos pas vers ces jeunes artistes qui chuchotent, en écho à la voix du poète portugais Fernando Pessoa : « Léger, léger, très léger, un vent très léger passe et s’en va, toujours très léger ; je ne sais, moi, ce que je pense ni ne cherche à le savoir »… mais je crée.
Diane M.