Tina-Campana-et-Charly-Ferrandes-avec-Thomas-Kerdreux © Mohamed Boussena

La Mécanique du Trait au Grenier à Sel

Dessins croisés

 

 

Sur le pont d’Avignon, le trait danse, le trait danse… et dévoile de nouveaux atours au Grenier à Sel.

 

L’exposition La Mécanique du trait présente l’évolution du dessin à partir du film documentaire Le Mystère Picasso d’Henri-Georges Clouzot (1955), qui concentre le regard sur le geste et la manière de l’artiste pour produire une œuvre, en filmant le dessin depuis le moment où il n’est presque rien, où les idées non fixées n’attendent que d’émerger sur le support établi.

On pourrait dire que c’est dans le trait que l’on reconnaît l’artiste, mais pourtant, quand Oscar Munoz peint, son trait disparait en s’évaporant indéfiniment : en filmant son support, l’artiste peint à l’eau un visage qu’il répète sans cesse, pendant que celui-ci, pourtant, s’évanouit. Les ombres du regard qui s’adoucissent d’un côté dessinent alors un nouveau visage, qu’un nouveau trait viendra modifier. Le dessin n’est alors plus figé mais témoigne d’une lutte entre l’artiste et son support.

En poursuivant les évolutions du dessin au gré de l’exposition, on remarque que la main de l’artiste s’efface parfois, pendant que l’artiste devient chef d’orchestre, en exécutant le dessin à partir d’une machine ou d’un processus, d’un programme qu’il répète indéfiniment. Vera Mòlnar et Jean Tinguely développent cette approche. Comment faire sortir le carré de ses gonds, de Vera Mòlnar, représente un dialogue entre l’artiste et une machine à tracer reliée à son ordinateur, ou plutôt un désaccord que l’ordinateur exprimerait, déformant avec rage des carrés, initialement sobres, vers un dessin qui rappellerait des éclats de verres lancés contre le sol. Une grosse dispute en fait. Et ainsi, en prenant l’ordinateur comme principal outil de création, l’artiste exporte le geste et l’intention en dehors de la main, vers un trait rigoureux pourtant évocateur et expressif.

En dehors du support, le dessin s’exporte… jusqu’aux profondeurs de la mer… L’œuvre de Christophe Monchalin, Muted, une installation en VR (ou réalité virtuelle), nous transporte dans un univers entre océans et souvenirs d’enfance ; l’on plonge dans le mélange en cherchant, du regard et de la tête, une fille qui s’égare ou qui nous partage ses souvenirs enfouis, que l’on découvre entre des racines aquatiques dessinées en 3D. Au-delà du regard, le corps s’implique dans l’œuvre à la recherche des messages laissés par la jeune fille, ou pour contempler le paysage abyssal depuis notre scaphandrier digital.

D’autres démarches sont mises en avant, comme un dialogue entre dessin et réalité augmentée, une fresque qui inscrit le dessin dans le monde des données, ou les peintures GPS de Tina & Charly : avec l’aide de mathématiciens, ces deux artistes marseillais ont conçu des œuvres qui ont pour rôle de retranscrire le mouvement de chacune des parties (Tina, Charly et l’algorithme) entre deux lieux donnés. Ainsi de leurs mouvements entre la Chambre de Commerce à Marseille et la Castellane, matérialisés sur une toile par le tracé GPS d’un algorithme.

Le Grenier à Sel met en avant les démarches innovantes qui sortent le dessin de sa zone de confort et interrogent son rapport avec notre monde. Dans les quatre salles de l’exposition, on croise finalement des œuvres qui nous surprennent par leur originalité, sans manquer de nous rester étrangement familières car l’emploi du GPS, celui de l’ordinateur, de la 3D et de la programmation font désormais partie de notre quotidien, que les artistes détournent pour ressortir de nouvelles images qui s’adressent à nos sentiments. Car l’art d’évoquer les choses reste le même.

L’exposition est une balade agréable qui prouve que le dessin sait s’actualiser à l’ère du numérique, sans pour autant se compromettre.

Mohamed Boussena

La Mécanique du trait – Quand la main s’efface : jusqu’au 25/06 au Grenier à Sel (Avignon). Rens. : www.legrenierasel-avignon.fr