Louis Brauquier

La mer qu’on voit danser… entre art et réalité à la BMVR Alcazar

Histoires d’eaux

 

La mer qu’on voit danser… entre art et réalité. L’intitulé du colloque proposé par l’Académie de Marseille met en évidence l’originalité de son enjeu : la fluidité d’un thème qui se démultiplie à l’infini et dont la poursuite ressemble à l’art de la fugue. Et pourtant si profondément ancré dans la cité phocéenne.

 

Face à un aussi vaste champ de réflexion, Jean-Noël Bret, le directeur scientifique de ce colloque, adopte un cheminement entre deux ornières : à droite, la froideur d’une analyse scrupuleuse et impersonnelle, à gauche, le biais d’une vision empathique et subjective ; en créant, sur le fil d’un dialogue entre les siècles, les arts et les disciplines, les conditions de synergie entre des participants venus d’horizons éloignés (écrivains, archéologues, navigateurs, historiens de l’art, musiciens, philosophes). L’étendue de leurs regards croisés prouvera la fécondité de la démarche quand elle se confronte aux multiples valences d’un sujet qui, tel Protée, semble vouloir toujours échapper à sa propre nature, saturée d’une profusion de modèles littéraires, picturaux, cinématographiques ou musicaux au travers desquels chacun voit la mer danser… C’est-à-dire, selon le mot de Montaigne, s’« artialiser ».

La première communication s’intéressera aux représentations maritimes chez les peintres de la Renaissance italienne. Même si la mer n’est pas un sujet à l’époque, elle sert de cadre à de nombreuses narrations picturales dans lesquelles la puissance divine s’exerce dans le flot des activités humaines. Elisabeth Mognetti, ex-conservatrice du Musée des Beaux-Arts de Marseille, s’attachera à montrer comment l’élément marin, en agissant sur le réel des hommes, conditionne l’expression de leurs craintes et de leurs désirs.

Tout aussi suggestifs, les monstres marins peuplent l’imaginaire pictural et littéraire. Alain Cabantous, spécialiste de l’histoire sociale de la culture, en tracera le bestiaire du XVe siècle à nos jours. Tel un naturaliste, il tentera de déterminer les caractères communs et évolutifs de ces êtres sortis tout droit des abysses de nos mentalités collectives et de repérer leurs mécanismes agissants.

Puis nous quitterons les rivages occidentaux, pour nous immerger dans l’atmosphère « montagnes et eaux » en surfant sur la vague de l’art graphique chinois, guidés par Yolaine Escande, directrice de recherche au CNRS. Un œil de l’esprit s’ouvre en quête de beauté, de poésie et de sagesse, mille ans avant « l’invention du paysage » en Europe.

Retour à Marseille. Quand la ville fait son cinéma, elle suscite une production d’affiches, divertissant carrousel de clichés tapissés sur près d’un siècle : « carrefour du monde, escale de l’espoir, lieu de perdition»… Patrick Boulanger, directeur de la revue culturelle Marseille, en a constitué une des plus belles collections. Il nous présentera les illustrateurs qui s’y sont distingués. Du Comte de Monte-Cristo à Marius et Jeannette, quand Marseille s’affiche, la communication de masse devient un « poème pour les yeux ».

Louis Brauquier parcourut le monde pour la Compagnie des Messageries Maritimes. Écrivain, peintre et photographe né à Marseille en 1900, il construit une œuvre, libre et plurielle, nourrie de ses vives impressions de voyage qui lui vaut la considération de ses compagnons de plume Alexandre Toursky, Gabriel Audisio, Henri Bosco… Son lointain descendant, Gilles Bourdy, lui consacre une tendre monographie où s’épanouit l’atmosphère du cénacle poétique phocéen des premières décennies du XXe siècle.

Jean-Noël Bret, historien de l’art, soulignera le paradoxe de ces journées d’études. Pourtant omniprésente dans la réalité quotidienne des hommes, la mer n’est mise en scène que subordonnée à d’autres motifs iconographiques jusqu’au XIXe siècle. Cette contradiction inhérente au statut de la représentation en Occident apparaît régulièrement, sous diverses déclinaisons, dans la problématique des colloques organisés par le vice-président de l’Académie de Marseille (1). L’occasion de préciser les transactions entre visible et invisible à l’œuvre dans les arts plastiques quand ils opèrent une mise à distance du réel.

Mais le réel est têtu. Hervé Baudu, professeur à l’École Nationale Supérieure Maritime de Marseille, participe à l’implantation d’un code polaire sous l’égide de l’Organisation internationale marine. Avec le réchauffement climatique, la maritimisation de ces zones s’accélère et les dangers s’accroissent de voir les pôles, qui avaient jusqu’alors aimanté la partie la plus noble de nous-mêmes, devenir la mise d’un poker menteur. Le point sur la question.

Seul au monde. Vrais ou fictionnels, les récits de naufragés ont permis à leurs héros de discriminer parmi les valeurs essentielles lorsque l’on a tout perdu. Gilbert Buti, historien des sociétés littorales, analyse le triple trauma psychique des Robinson dont on ne sait lequel est le plus violent : de la fortune de mer, de la « découverte de l’autre » ou du retour à la civilisation.

Le chant des sirènes. La musique partage avec la mer sa fluence et le rythme, reposant ou tumultueux, de ses périodes. Chez les compositeurs, les figuralismes abondent pour évoquer le mouvement de l’eau. L’opéra lui offre un décor musical débordant d’effets dramatiques propices aux airs de tempête et de bravoure. Debussy innove en jouant des couleurs harmoniques sur les surfaces réfléchissantes de l’orchestre. Charles Trenet la fait danser le long des golfes clairs… Evelina Pitti, pianiste et professeur au Conservatoire de Marseille, évoquera cette osmose étonnante entre le réel et son double.

Dans le grand bleu. Luc Long dirige depuis de nombreuses années les fouilles archéologiques sous-marines depuis l’antique cité d’Arles jusqu’au large de la Camargue où ont été récemment découverts les vestiges d’installation portuaire. Là, gisent de nombreuses épaves. Parmi les cargaisons éparses, peut-être le buste d’un illustre personnage romain ? Le temps long de la Méditerranée.

Silhouette inoubliable de la BD romanesque, Corto Maltese vagabonde encore parmi nos souvenirs de lecture les plus chevillés au cœur bien après la disparition de son créateur Hugo Pratt, poète et aquarelliste lumineux. Hubert Poilroux-Deleuze, alpiniste et navigateur passionné, partage avec son héros le goût de l’aventure et du mystère. Un épisode à ne pas manquer.

Poèmes et chansons de mer, interprétés par le ténor Jean-Christophe Born, accompagné au piano par Evelina Pitti, offriront, entre les communications, un interlude rafraîchissant et, en guise de coda, Daniel Armogathe, président de la Cinémathèque de Marseille, nous invitera à voir ou revoir Le Crabe-Tambour, inoubliable chef-d’œuvre du réalisateur Pierre Schoendoerffer à la manœuvre sur une mer glacée.

Il y a, dans les multiples dimensions et temporalités de son thème, quelque chose d’inépuisable qui n’est pas le moindre des attraits de ce colloque.

 

Roland Yvanez

 

La mer qu’on voit danser… entre art et réalité : Les 17, 18 et 22/09 à la BMVR Alcazar (58 cours Belsunce, 1er).

Rens. : www.academie-sla-marseille.fr / www.bmvr.marseille.fr

 

 

 

Notes
  1. cf. les actes du colloque Le paysage entre art et nature, PUR 2017[]