La paille des astres de Jean Bedez au Château de Servières
De bonnes compositions
Au Château de Servières a été agencée La Paille des astres, où les dessins monumentaux de Jean Bedez sont sortis pour quelques semaines de leurs collections privées. Des décors de ruines apparaissent maculés d’une certaine pureté, faite de traits et de volutes de clarté. Comme l’écrit Paul Éluard, déjà convoqué pour titrer l’exposition, la visite vaut le détour, le temps de lui accorder La Courbe de tes yeux.
Demi-dieux, géants, symboles animaliers et astres aux noms de divinités gréco-romaines… autant de sujets de peinture d’histoire, dans des appartement bourgeois éventrés ou calcinés, dans des patios avec colonnes et balustrades classiques désaffectés, ou sur des places aux fontaines écroulées. Telles sont ces scènes aux accents tragiques, ou en tout cas désolées, qui sont dessinées sur les papiers grands, en moyenne, d’un mètre cinquante, sur deux mètres cinquante. Sans doute parce que les pièces sont imposantes, mais surtout parce qu’elles sont marquées par des contrastes subtils et empreintes d’un réalisme frappant, c’est à la photographie que le travail de Jean Bedez fait d’emblée penser. On n’aurait pas tout à fait tort, car son travail en noir et blanc porte d’abord une attention extrêmement minutieuse aux détails, aux lumières et aux ombres, et à la façon dont ces derniers s’impriment sur ses papiers. Pour révéler ses scènes, l’artiste appose, par petits traits, des couches successives de graphite en partant du crayon le plus sec (6h) jusqu’au plus tendre (8b), dévoilant lentement sa composition latente, elle-même faite de savantes références, agencées à partir de photos, archives, gravures, sculptures ou peintures. On compte un peu plus de trente travaux dans La Paille des astres, délicatement déposés au creux de la claire Galerie du Château de Servières. La scénographie, à la faveur de lumière naturelle, a le charme discret de l’élégance que cache l’ampleur du labeur : pour certains dessins, plus de mille heures de travail sur un an, comme Le Cénacle (137 x 266 cm, 2010). Un Cénacle d’ailleurs inspiré de celui de Léonard De Vinci, mais vidé de ses visages expressifs, dépouillant l’homme de sa place centrale pour interroger la portée politique des symboles représentés par des siècles d’histoire de l’art. Les seules figures animées dans l’œuvre de Jean sont des animaux. Les seules figures de forme humaine sont des angelots ou des divinités aux allures de sculptures. Son autre personnage star, c’est sans doute l’absence, le vide.
Ses pièces fonctionnent par séries, à l’intérieur desquelles on trouve plusieurs diptyques, triptyques ou quadriptyques. L’idée, c’est de toujours représenter un moment qui mêle le religieux et le politique, et de faire intervenir l’artistique. Chaque composition est très pensée, chaque trait est mesuré pour représenter ce(ux) qui domine(nt) dans notre culture. Chaque lumière (à savoir qu’elle est réfléchie en négatif, puisque le crayon est noir sur le papier laissé presque blanc) amène une zone trouble, pour « diriger le regard », pour « laisser apparaître des formes symboliques, comme une croix chrétienne ». Chaque composition comporte des symboles à découvrir, parfois ironiques, parfois réflexifs… Observer un dessin, c’est tenter de percer l’énigme à jour, indices au bord des cadres, au sein des cartels, dans la recherche des références en palimpsestes. Jean déroule le fil d’un motif, d’une figure, d’un symbole, d’un travail artistique antérieur ; il s’inspire d’Albrecht Dürer, peintre de la Renaissance allemande, comme de son contemporain, l’italien De Vinci ; il se réfère à Michel-Ange, représente les décors qui ont entouré les personnages de l’histoire avec un grand h, de Louis XIV à Napoléon en passant par Kadhafi, ou encore par la famille des Médicis. Mais sans jamais les montrer, les effaçant volontairement de la scène. Signe, peut-être, que reconsidérer nos historiques permettrait de dégager quelques beautés, quelques espoirs de nos ruines culturelles.
Beaucoup d’aspects méritent d’être éclairés dans ce cycle de douze ans de travail de Jean Bedez, ainsi que dans des œuvres que nous n’avons pas abordées (des gravures à la prototypeuse laser, des constellations, des broderies, par exemple…). Mais le meilleur éclairage reste encore celui de nos regards. On espère que cette première à Marseille, orchestrée par Martine Robin qui porte haut le flambeau de sa Saison du Dessin (Paréidolie), ne sera pas la dernière pour cet artiste qui vient d’installer son second atelier à nos côtés.
Margot Dewavrin
La paille des astres de Jean Bedez : jusqu’au 16/12 au Château de Servières (19, bd Boisson, 4e).
Rens. : chateaudeservieres.org
Pour en (sa)voir plus : www.jeanbedez.com